samedi 27 décembre 2008

Entretien de Mère du 10 septembre 1958

Douce Mère, qu'est-ce que la magie blanche?

On appelle "magie blanche" la magie bienfaisante ' — et "magie noire" la magie malfaisante. Mais enfin ce sont des mots, cela n'a pas de sens. Magie ?... C'est une connaissance qui est réduite à des formules purement matérielles. Ce sont comme des mots, ou des chiffres, ou des combinaisons de mots et de chiffres qui, simplement s'ils sont prononcés ou s'ils sont écrits, même par quelqu'un qui n'a pas de pouvoir intérieur, doivent agir. C'est en occultisme le correspondant des formules chimiques en science. N'est-ce pas, en science, vous avez des formules chimiques pour combiner certains éléments et en produire d'autres ; même si vous n'avez pas de pouvoir mental ni de pouvoir vital, ni même de pouvoir physique, et que vous suiviez à la lettre la formule que vous avez, vous arrivez au résultat voulu.

Il suffit simplement d'avoir de la mémoire. Eh bien, on a essayé en occultisme la même chose, de faire des combinaisons de sons, de lettres, de chiffres, de mots, qui ont, par leurs propres qualités, le pouvoir d'obtenir un résultat. Ainsi, le premier imbécile venu, s'il apprend cela et qu'il fasse exactement ce qu'on lui dit, obtient (ou croit obtenir) le résultat qu'il veut obtenir. Tandis que ... Prenons par exemple le mantra, qui est un occultisme; à moins que le mantra ne soit donné par un gourou et que le gourou ne vous passe son pouvoir occulte ou spirituel avec le mantra, vous pouvez répéter votre mantra des milliers de fois, il n'aura aucun effet.

C'est-à-dire que dans le vrai occultisme, il faut avoir la qualité, la capacité, le don intérieur pour l'utiliser, et c'est cela la sauvegarde. Le vrai occultisme, le premier imbécile venu ne peut pas le faire. Et ce n'est plus de la magie, ni de la magie blanche, ni de la magie noire, ni de la magie dorée , ce n'est plus de la magie du tout, c'est un pouvoir spirituel qu'il faut acquérir par une longue discipline ; et finalement, qui ne vous .est donné que par une grâce divine.

C'est-à-dire que dès que l'on approche de la Vérité, on est à l'abri de tout charlatanisme, de toute prétention et de tout mensonge. De cela, j'ai eu des preuves nombreuses et extrêmement concluantes. Et alors, celui qui a le pouvoir occulte véritable possède en même temps, par la puissance de cette vérité intérieure, le pouvoir de défaire toutes les magies blanches ou noires, ou de quelque couleur qu'elles soient, simplement par l'application d'une goutte de cette vérité, pourrait-on dire.

Il n'y a rien qui puisse résister à ce pouvoir-là. Et ceci est fort connu de tous ceux qui pratiquent la magie, parce qu'ils ont toujours très grand soin, dans tous les pays mais plus particulièrement dans l'Inde, de ne jamais essayer aucune de leurs formules contre des yogi ou des 'saints, parce qu'ils savent que ces formules, qu'ils envoient avec leur petit pouvoir mécanique très superficiel, viendront frapper, comme une balle sur un mur, le vrai pouvoir qui protège celui qui a une vie spirituelle, et tout naturellement leur formule rebondira et retombera sur eux.

Le yogi ou le saint n'a rien à faire, il n'a même pas à vouloir se protéger : c'est une chose automatique. Il est dans un état de conscience et de pouvoir intérieur qui le protège automatiquement de tout ce qui est inférieur. Naturellement, il peut aussi volontairement utiliser son pouvoir pour en protéger d'autres.

Ce rebondissement de la mauvaise formation contre son atmosphère le protège, lui, automatiquement, mais si cette mauvaise formation est faite contre quelqu'un qu'il protège ou qui simplement demande son aide, alors il peut, par un mouvement de sa propre atmosphère, de sa propre aura, entourer la personne qui est en butte aux maléfices magiques, et le procédé de rebondissement agit de la même manière et fait que la formation mauvaise retombe tout naturellement sur celui qui l'a faite. Mais dans ce cas,, la volonté consciente du yogi ou du saint ou du sage est nécessaire. Il faut qu'il soit mis au courant de l'événement et qu'il décide d'intervenir. Voilà la différence entre la vraie connaissance et la magie. Autre chose ?... C'est tout ?

Mère, est-ce que la science physique, par son progrès, peut s'ouvrir à l'occultisme?

Elle ne l'appelle pas "occultisme", c'est tout. C'est seulement une question de mots ... Ils sont en train de faire des découvertes sensationnelles que ceux qui avaient la connaissance occulte savaient déjà il y a des milliers d'années ! Ils ont fait un long circuit et ils arrivent à la même chose.

Avec les découvertes tout à fait récentes de la médecine, de la science appliquée, par exemple, ils sont en train de toucher comme cela, avec un intérêt émerveillé, des choses qui ont été connues par certains sages il y a extrêmement longtemps. Et alors, ils vous donnent cela comme des merveilles nouvelles mais enfin elles sont un peu vieilles, leurs merveilles !

Ils finiront par faire de l'occultisme sans savoir qu'ils en font ! Parce que, au fond, dès que l'on s'approche tant soit peu de la vérité des choses, et quand on est sincère dans sa recherche, que l'on ne se contente pas seulement des apparences, que l'on veut vraiment trouver quelque chose, on s'enfonce, on s'enfonce derrière les apparences, alors on commence à avancer vers la vérité des choses; et à mesure que l'on s'approche de ça, eh bien, on retrouve la même connaissance que d'autres, qui ont commencé par entrer au-dedans, ont rapporté de leurs découvertes intérieures.

C'est seulement la méthode et le chemin qui sont différents, mais la chose découverte sera la même, parce qu'il n'y en a pas deux à découvrir, il n'y en a qu'une. Forcément ce sera la même. Tout dépend du chemin que l'on suit; les uns vont vite, les autres vont lentement, les uns vont direct, les autres font (comme je dis) un grand circuit, et combien de travail ! Comme ils ont travaillé !... C'est très respectable, d'ailleurs.

Maintenant, ils sont en train de découvrir qu'avec l'hypnotisme, ils peuvent remplacer les anesthésiques avec des résultats infiniment meilleurs. Eh bien, l'hypnotisme est une forme, une forme rendue moderne par l'expression de l'occultisme; une forme très limitée, très petite, d'un pouvoir tout à fait exigu en comparaison du pouvoir occulte, mais enfin c'est une forme d'occultisme sur laquelle on a mis des mots modernes pour rendre la chose moderne. Et je ne sais pas si vous êtes au courant de cela, mais c'est très intéressant à un certain point de vue : par exemple, on a essayé ce procédé d'hypnotisme pour quelqu'un à qui l'on voulait faire une greffe de la peau sur une blessure.

Je ne me souviens plus des détails, mais il fallait que le bras reste pendant quinze jours attaché à la jambe... Si l'on procède en vous immobilisant par du plâtre et des bandages et toutes sortes de choses, lorsque les quinze jours sont passés, vous ne pouvez plus bouger, tout est ankylosé et il vous faut des semaines et des traitements pour pouvoir recouvrer le libre usage de votre bras. Dans ce cas-là, on n'avait rien lié, rien immobilisé matériellement, pas de plâtre, pas de bandages, rien, on avait simplement hypnotisé la personne et on lui avait dit de tenir son bras comme cela.

Elle l'a tenu pendant les quinze jours, sans effort, sans difficulté, sans que sa volonté ait besoin d'intervenir : c'était la volonté de celui qui l'avait hypnotisée qui intervenait. Ça a parfaitement réussi, le bras est resté dans la position voulue, et, quand les quinze jours ont été passés et que l'on a défait- l'hypnotisme, qu'on a dit à la personne : "Maintenant, vous pouvez bouger", elle s'est mise à bouger ! Eh bien, c'est un progrès. On va se rencontrer bientôt, ce ne sera plus du tout qu'une question de mots — alors, si l'on n'est pas trop obstiné, on peut s'entendre sur la valeur des mots !

Douce mère, on dit que l'hypnotisme a un mauvais effet, après, sur la personne hypnotisée ?

Non, non ! Si quelqu'un fait de l'hypnotisme pour imposer sa volonté à un autre, évidemment cela peut faire beaucoup de mal à l'autre, mais nous parlons d'un hypnotisme qui est fait d'une façon "humanitaire", pourrait-on dire, et pour des raisons précises. On peut éviter tout mauvais effet si celui qui le fait n'a pas de mauvaises intentions.

Si vous employez des formules chimiques d'une façon ignorante, vous pouvez produire une explosion (rires), et ça c'est très dangereux! Eh bien, si vous employez des formules occultes avec ignorance — ou avec égoïsme, ce qui est encore pire que l'ignorance — , vous pouvez aussi avoir des effets maléfiques. Mais ce n'est pas que l'occultisme soit mauvais, ni que l'hypnotisme soit mauvais, ni que la chimie soit mauvaise. Vous n'allez pas bannir la chimie parce qu'il y a des gens qui font des explosions ! (rires)

Pour apprendre l'occultisme, il faut avoir des qualités spéciales, n'est-ce pas, tandis que pour apprendre la science ...

Mais pour toute chose, il faut avoir des qualités spéciales !

La connaissance scientifique est à la portée générale.

Écoutez, si vous n'êtes pas artiste, vous pouvez travailler pendant des années avec des brosses, des pinceaux, des couleurs, des toiles, et dépenser beau- coup d'argent et beaucoup d'efforts — et faire des choses horribles. Si vous n'êtes pas musicien, vous pouvez vous atteler pendant des heures à jouer du piano et vous ne ferez jamais rien de convenable. Il faut toujours des qualités spéciales ... Mais même un athlète ; si vous n'êtes pas né athlète, vous pouvez bien essayer tant que vous voulez, vous ne réussirez qu'à une chose tout à fait moyenne et ordinaire. Ce sera mieux que celui qui n'essaie pas, mais cela ne veut pas dire qu'automatiquement vous allez réussir. D'ailleurs, si l'on va un pas plus loin, tout le monde possède au-dedans de soi des possibilités innombrables, que l'on ignore et qui ne se développent que si l'on fait ce qu'il faut, de la manière qu'il faut...

Mais il y a deux genres de progrès, il n'y en a pas un seul ; il y a le progrès .qui consiste à rendre plus parfaites les possibilités, les capacités, les facultés et les qualités que l'on a — c'est généralement ce que l'on obtient par l'éducation ; mais si vous faites un développement un peu plus approfondi, en vous approchant d'une vérité plus profonde, vous pouvez ajouter aux qualités que vous avez, des qualités nouvelles qui sont comme endormies dans votre être.

Vous pouvez multiplier vos possibilités, les agrandir, les augmenter ; vous pouvez faire surgir tout d'un coup quelque chose que vous ne pensiez pas avoir. Je vous ai expliqué cela déjà plusieurs fois. Quand on découvre son être psychique au-dedans de soi, en même temps, il y a des choses que l'on ne pouvait pas du tout faire et que l'on croyait ne pas avoir dans sa nature, qui se développent et qui se manifestent d'une façon tout à fait inattendue. De cela aussi, j'ai eu des exemples multiples. Je vous en ai donné un, que je vous répète encore une fois pour me faire comprendre.

Je connaissais une jeune fille qui était née dans un milieu très ordinaire, qui n'avait pas reçu beaucoup d'éducation et qui écrivait un français plutôt maladroit, qui n'avait pas cultivé son imagination et qui n'avait absolument aucun sens littéraire : ça paraissait être parmi les possibilités qu'elle n'avait pas. Eh bien, quand elle a eu cette expérience intérieure du contact avec son être psychique, et tant que le contact était vivant et très présent, elle écrivait des choses admirables. Quand elle retombait de cet état dans un état ordinaire, elle ne savait même pas mettre deux phrases ensemble d'une façon correcte ! Et j'ai eu les deux choses dans les mains.

On a un génie au-dedans de soi — on ne le sait pas.

Il faut trouver le moyen de le faire sortir ... Mais il est là qui dort — il ne demande pas mieux que de se manifester, il faut lui ouvrir la porte.

jeudi 18 décembre 2008

26 novembre 1915

La conscience tout entière étant immergée dans la contemplation divine, l'être intégral jouissait d'une suprême et vaste félicité. Puis le corps physique fut saisi, d'abord dans ses membres inférieurs, ensuite dans sa totalité, par un tremblement sacré qui fit tomber peu à peu, même dans la sensation la plus matérielle, toutes limites personnelles.


L'être s'agrandit progressivement, méthodiquement, rompant toute barrière, brisant tout obstacle pour contenir et manifester une Force, une Puissance croissant sans cesse en immensité et en intensité; c'était comme une dilatation progressive des cellules jusqu'à la complète identification avec la terre : le corps de la conscience éveillée était le globe terrestre se mouvant harmonieusement dans l'espace éthéré.

Et la conscience savait que son corps globaire se mouvait ainsi dans les bras de la Personnalité universelle et elle se donnait, s'abandonnait à Elle dans une extase de paisible félicité. Alors la conscience sentit que son corps était absorbé dans le corps de l'univers et ne faisait plus qu'un avec lui et la conscience devint la conscience de l'univers, immobile en sa totalité, mouvant infiniment en sa complexité interne. La conscience de l'univers s'élança vers le Divin dans une ardente aspiration et une soumission parfaite et elle vit, dans la splendeur de la Lumière Immaculée, l'Être resplendissant debout sur un serpent à multiples têtes dont le corps s'enroulait infiniment autour de l'univers.

Et l'Être dans un geste éternel de triomphe maîtrisait et créait à la fois le serpent et l'univers issu de lui : dressé sur le serpent, il le dominait de toute sa puissance victorieuse, et le même geste qui foudroyait l'hydre enveloppant l'univers le faisait naître éternellement. Alors la conscience, devenue cet Être, perçut que sa forme changeait encore une fois, absorbée dans quelque chose qui n'était plus une forme et qui contenait toutes les formes, quelque chose qui, immuable, voit, l'Œil, le Témoin. Et ce que Cela voit, est.

Puis le dernier vestige de forme disparut et la conscience elle-même fut absorbée dans l'Inexprimable, l'Indicible. Le retour vers la conscience du corps individuel se fit très lentement dans une constante et invariable splendeur de Lumière, de Puissance, de Félicité et d'Adoration, par gradations successives, mais directement, c'est-à-dire sans passer de nouveau par les formes universelle et terrestre. Et ce fut comme si la modeste forme corporelle était devenue le revêtement direct et immédiat, sans intermédiaire, de l'Éternel et Suprême Témoin.

10 octobre 1918

Ô mon Seigneur bien-aimé, quelle douceur de penser que c'est pour Toi et Toi seul que j'agis ! C'est à Ton service que je suis; c'est Toi qui décides et ordonnes et mets en mouvement, diriges et accomplis l'action.

Quelle paix, quelle tranquillité, quelle suprême félicité sont données par la perception, la sensation de cela ? Car il suffit d'être docile, plastique, soumis, attentif, afin de Te permettre d'agir librement; il n'y a plus d'erreurs, de fautes, de manques, d'insuffisance possibles, puisque ce que Tu as voulu, Tu le fais et Tu le fais tel que Tu l'as voulu ...

Accepte la flamme ardente de ma gratitude et de ma joyeuse et pleinement confiante adhésion.

Mon Père m'a souris et m'a prise dans ses bras puissants. Que pourrais-je craindre ? Je me suis fondue en Lui, et c'est Lui qui agit et vit en ce corps que Lui-même a formé pour s'y manifester.

mercredi 17 décembre 2008

Entretien du 23 janvier 1957

"La rencontre de l'homme et de Dieu signifie toujours une pénétration, une entrée du Divin dans l'humain et une immersion de l'homme dans la Divinité."

"Mais cette immersion n'est pas une sorte d'annihilation. L'extinction n'est pas l'aboutissement de toute cette recherche et cette passion, cette souffrance et cette extase. Le jeu n'aurait jamais commencé si telle devait en être la fin."

"La joie est le secret. Apprends la joie pure et tu apprendras Dieu." "Quel fut donc le commencement de toute l'affaire? Une existence qui s'est multipliée pour la seule joie d'être et qui s'est plongée en d'innombrables milliards de formes afin de pouvoir se retrouver elle-même innombrablement."

"Et quel en est le milieu ? Une division qui fait effort vers une unité multiple, une ignorance qui peine vers le torrent d'une lumière variée, une douleur en travail pour arriver au contact d'une extase inimaginable. Car toutes ces choses sont des formes obscures et des vibrations perverties."

"Et quelle sera la fin de toute l'affaire ? Si le miel pouvait se goûter lui-même et goûter toutes ses gouttes à la fois, et si toutes ses gouttes pouvaient se goûter l'une l'autre, et chacune goûter le rayon tout entier comme elle-même, telle serait la fin pour Dieu, l'âme de l'homme et l'univers."

(Sri Aurobindo, Aperçus et Pensées)

Comment apprendre la joie pure ?

D'abord, pour commencer, il faut par une observation attentive, s'apercevoir que les désirs et la satisfaction des désirs ne donnent qu'un vague plaisir incertain, mélangé, fugitif et tout à fait insatisfaisant. Cela, c'est généralement le point de départ.

Alors, si l'on est un être raisonnable, il faut apprendre à discerner ce qui est désir et se refuser à faire quoi que ce soit pour satisfaire ses désirs. Il faut les repousser sans essayer de les satisfaire. Et alors le premier résultat, c'est justement l'une des premières constatations du Bouddha dans son enseignement: il, y a une joie infiniment plus grande à maîtriser et supprimer un désir qu'à le satisfaire. Tout chercheur sincère et obstiné, au bout de quelque temps, plus ou moins longtemps, quelquefois très peu de temps, s'apercevra que c'est une vérité absolue, et que la joie qu'on éprouve à surmonter un désir est incomparablement supérieure au petit plaisir fugitif et mélangé que l'on peut trouver à la satisfaction de ses désirs. Cela, c'est le second pas.

Naturellement, avec cette discipline continue, au bout de très peu de temps les désirs seront à une dis- tance et ne vous ennuieront plus. Alors vous serez libres d'entrer un peu plus profondément dans votre être et de vous ouvrir dans une aspiration vers... le Donneur de Joie, l'élément divin, la Grâce divine. Et si on le fait avec un don de soi sincère, quelque chose qui se donne, qui s'offre et qui n'attend rien en échange de son offrande, on sentira cette espèce de chaleur, douce, confortable, intime, rayonnante, qui remplit le cœur et qui est l'avant-coureur de la Joie.

Après, le chemin est facile.

Douce Mère, quelle est la vraie Joie d'être ?

Celle-là même dont je parle !

Alors, Douce Mère, ici, quand Sri Aurobindo parle d'une existence qui "se multiplie pour la seule Joie d'être", quelle est cette Joie ?

La joie d'exister. Il y a un moment, quand on commence à être un peu prêt, où l'on peut sentir dans chaque chose, dans chaque objet, dans chaque mouvement, dans chaque vibration, dans toutes les choses qui vous entourent — pas seulement les gens et les consciences, mais les choses, les objets ; pas seulement les arbres et les plantes et les choses vivantes, mais simplement un objet dont on se sert, les choses qui vous entourent — cette joie, cette joie d'être, d'être tel qu'on est, simplement d'être. Et on voit que tout cela, ça vibre comme cela. On touche une chose et on sent cette joie. Mais naturellement, je dis, il faut avoir suivi la discipline dont j'ai parlé au commencement ; autrement, tant que l'on a un désir, une préférence, un attachement, ou des affinités et des répulsions et tout cela, on ne peut pas — on ne peut pas.

Et tant que l'on trouve des plaisirs — le plaisir n'est-ce pas, le plaisir vital ou physique à une chose — on ne peut pas sentir cette joie. Parce que cette joie est partout. Cette joie est quelque chose de très subtil. On bouge au milieu des choses et c'est comme si elles vous chantaient toutes leur joie. Il arrive un moment où c'est très familier dans la vie qui vous entoure. Naturellement, je dois reconnaître que c'est un petit peu plus difficile de la sentir dans les êtres humains, parce qu'il y a toutes leurs formations mentales et vitales qui viennent dans le champ de la perception et qui dérangent cela.

Il y a trop cette espèce d'âpreté égoïste qui se mélange aux choses, alors c'est plus difficile de toucher la Joie là. Mais même dans les animaux, on la sent ; c'est déjà un peu plus difficile que dans les plantes. Mais dans les plantes,dans les fleurs,c'est si merveilleux ! Elles parlent toute leur joie, elles l'expriment. Et je l'ai dit, n'est-ce pas, tous les objets familiers, les choses que l'on a autour de soi, dont on se sert, il y a un état de conscience où chacune est joyeuse d'être, telle qu'elle est. Alors on sait à ce moment-là, que l'on a touché la vraie Joie. Et cela, ce n'est pas conditionné. Je veux dire, cela ne dépend pas... cela ne dépend de rien. , Cela ne dépend pas des circonstances extérieures, cela ne dépend pas d'un état plus ou moins favorable, cela ne dépend de rien : c'est une communion avec la raison d'être de l'univers.

Et quand cela vient, ça remplit toutes les cellules du corps. Ce n'est pas une chose qui se pense même — on ne raisonne pas, on n'analyse pas, ce n'est pas cela : c'est un état dans lequel on vit. Et quand le corps y participe, il est si frais — si frais, si spontané, si... il n'a plus aucun retour sur lui-même, il n'y a plus aucun sens d'observation propre, d'analyse de soi ou des choses. Tout cela, c'est comme un cantique de vibrations joyeuses, mais très, très tranquille, sans violence, sans passion, rien de tout cela. C'est très subtil et très intense en même temps, et quand ça passe, il semble que tout l'univers soit une harmonie merveilleuse. Même ce qui pour la conscience humaine ordinaire est laid, déplaisant, apparaît merveilleux.

Malheureusement, comme je dis, les gens, les circonstances, tout cela, avec toutes ces formations mentales et vitales, ça dérange tout le temps. Alors on est obligé de retourner à cette perception si ignorante,, si aveugle des choses. Mais autrement, dès que tout cela s'arrête et que l'on peut s'en sortir... tout change. Comme il le dit là, à la fin : tout change. Une harmonie merveilleuse. Et c'est tout la Joie, la vraie Joie, la Joie véritable.

Cela demande un peu de travail.

Et cette discipline dont j'ai parlé, à laquelle il faut se soumettre, si on la fait dans le but de trouver la Joie, on retarde le résultat, parce qu'on y introduit un élément égoïste, on fait dans un but et ce n'est plus une offrande, c'est une demande, et alors...Ça vient, ça viendra, même si cela prend beaucoup plus de temps — quand on ne demande rien, qu'on n'attend rien, qu'on n'espère rien, que simplement c'est cela, c'est le don de soi et l'aspiration, et le besoin spontané, sans aucun marchandage — le besoin d'être divin, c'est tout.

Mère, tu expliqueras cette "goutte de miel" ?

Oh ! le miel... Mais c'est une image, mon enfant.

Il dit : "Si l'on pouvait s'imaginer..." C'est simplement pour donner une approche qui soit plus concrète que les abstractions intellectuelles. Il dit : si vous pouvez vous imaginer, par exemple, un rayon de miel, n'est-ce pas... un rayon de miel qui aurait la capacité de se goûter lui-même et en même temps chaque goutte du miel ; non seulement de se goûter lui-même en tant que miel, mais de se goûter lui-même dans chaque goutte, étant chaque goutte du rayon de miel, et que chacune de ces gouttes puisse goûter toutes les autres, soi-même et toutes les autres, et en même temps que chaque goutte ait la capacité de goûter, d'avoir le goût du rayon tout entier comme si c'était elle-même.

Alors, ce serait le rayon capable de se goûter lui- même et de goûter en détail toutes les gouttes du rayon, et chaque goutte capable de se goûter elle- même et individuellement toutes les autres et le rayon tout entier comme une unité, comme elle-même... C'est une image très exacte. Seulement il faut avoir un pouvoir Imaginatif !

Comme cela, j'ai compris. Je demande ce que cela signifie ?

Le miel, c'est une chose délicieuse, n'est-ce pas, alors ce sont les délices de la Joie divine.

Et tout à l'heure, quand j'évoquais cette joie qui est dans les choses, spontanée, simple, cette joie qui est au fond de tout, eh bien, pour le corps physique,, cela a quelque chose de vraiment — oh ! naturelle- ment, le goût du miel est très rude et grossier en comparaison — , mais quelque chose comme cela, quelque chose d'extrêmement délicieux. Et très simple, très simple et très total dans sa simplicité ; très complet dans sa simplicité, et pourtant très simple.

Cela, n'est-ce pas, ce n'est pas une chose à penser, il faut avoir la capacité de l'évoquer, il faut avoir de l'imagination. Alors, si l'on a cette capacité, on peut faire cela rien qu'en lisant, alors on peut comprendre ... C'est une analogie, qui n'est qu'une analogie, mais c'est une analogie qui a vraiment une capacité d'évocation.

Mais chacun imaginera quelque chose de différent, non, Mère ?

Évidemment. Mais cela ne fait rien ! Ce sera bon pour lui.

(silence)

C'est tout ?

J'avais apporté des questions que l'on m'a posées, mais je crois qu'il est déjà un peu tard (Mère feuillette des questions).

Il y en a une qui est terriblement intellectuelle et que nous laisserons pour une autre fois. Il y en a une autre... qui n'est qu'une apparence, et puis il y en a une troisième qui est intéressante, mais à laquelle il faudrait répondre en détail, et ce soir il est déjà un peu tard.

mardi 9 décembre 2008

Le Purusha témoin

Pour le yoga, et aussi en dehors du yoga, la maîtrise de nos pensées est aussi nécessaire que la maîtrise de nos passions et de nos désirs vitaux, ou celle des mouvements de notre corps. On ne peut même pas devenir un être mental pleinement développé si l'on ne domine pas ses pensées et si l'on n'est pas leur témoin, leur juge et leur maître, le Pourousha mental, manômaya pourousha, sâkshî anoumantâ, îshwara. Il ne sied pas davantage au mental d'être la balle de tennis de pensées déréglées et immaîtrisables, que d'être un vaisseau sans gouvernail dans l'orage des désirs et des passions, ou un esclave de l'inertie et des impulsions du corps.

Je sais que c'est plus difficile, car étant avant tout une créature de la Prakriti mentale, l'homme s'identifie aux mouvements de son mental et ne peut pas subitement se dissocier et se tenir à l'abri des tourbillons et des remous de la tempête mentale. Il lui est relativement facile de maîtriser son corps (du moins une certaine partie de ses mouvements), il est moins facile, mais encore très possible, après une certaine lutte, d'acquérir une maîtrise mentale de ses impulsions et de ses désirs vitaux; mais s'asseoir au-dessus du tourbillon de ses pensées, comme le yogi tantrique sur la rivière, est moins aisé. Néanmoins, cela se peut.

Tous les hommes mentalement développés, ceux qui sont au-dessus de la moyenne, doivent d'une façon ou d'une autre, du moins à certains moments de l'existence et à certaines fins, séparer les deux parties de leur mental: la partie active qui est une fabrique de pensées, et la partie calme et maîtresse qui est à la fois Témoin et Volonté, qui observe, juge, rejette, élimine ou accepte les pensées, imposant les corrections et les changements; c'est le Maître dans la maison mentale, capable d'empire sur soi, sâmrâdjya.

Le yogi va encore plus loin. Il est non seulement le maître, mais, tout en étant d'une certaine manière dans le mental, il en sort pour ainsi dire, et se tient au-dessus, ou complètement en arrière, libre. Pour lui, l'image de la fabrique de pensées n'est plus tout à fait valable, car il voit que les pensées viennent du dehors, du Mental universel ou de la Nature universelle, parfois formées et distinctes, parfois sans forme, puis elle reçoivent une forme quelque part en nous. La principale occupation de notre mental est de répondre et d'accepter ou de refuser ces ondes de pensée (de même pour les ondes vitales et les ondes d'énergie du physique subtil), ou encore de donner une forme mentale personnelle à cette substance mentale (ou aux mouvements vitaux) venus de la Nature-Force environnante.

Je suis très redevable à Lélé de m'avoir montré ce mécanisme: "Asseyez-vous en méditation, me dit-il, mais ne pensez pas, regardez seulement votre mental; vous verrez les pensées entrer dedans; avant qu'elles ne puissent entrer, rejetez-les, et continuez jusqu'à ce que votre mental soit capable de silence complet." Jamais je n'avais entendu dire que les pensées pouvaient entrer visiblement dans le mental en venant du dehors, mais je ne songeai pas à mettre en doute cette vérité ou cette possibilité; simplement, je m'assis et fis comme il m'avait dit.

En un instant, mon mental devint silencieux comme l'air immobile au sommet d'une haute montagne, puis je vis une, deux pensées venir du dehors d'une façon tout à fait concrète. Je les rejetai avant qu'elles ne puissent entrer et s'imposer à mon cerveau et en trois jours, j'étais libre. À partir de ce moment, l'être mental en moi devint dans son principe une Intelligence libre, un Mental universel qui n'était plus limité au cercle étroit des pensées personnelles comme un ouvrier dans une usine de pensées, mais était devenu le récepteur d'une connaissance venant des cent royaumes de l'être, libre de choisir ce qu'il voulait dans ce vaste empire de vision et de pensée.

Si je raconte cela, c'est dans la seule intention d'insister sur le fait que les possibilités de l'être mental ne sont pas limitées; il peut être le libre Témoin et le Maître dans sa propre maison. Je ne veux pas dire que n'importe qui peut le faire comme je l'ai fait, avec un mouvement décisif aussi rapide (car bien entendu, il a fallu beaucoup de temps, de nombreuses années pour développer jusqu'au bout ce nouveau pouvoir mental sans entraves), mais que la liberté progressive et la maîtrise du mental sont parfaitement dans les moyens de quiconque possède la foi et la volonté d'entreprendre cette conquête.

dimanche 7 décembre 2008

La Conscience

Selon mon expérience, la conscience n'est pas un phénomène dépendant des réactions de la personnalité aux forces de la Nature et réduit à une vision ou à une interprétation de ces réactions. S'il en était ainsi, lorsque la personnalité devient silencieuse et immobile, et qu'elle ne réagit pas, il n'y aurait pas de conscience puisqu'elle ne verrait plus et n'interpréterait plus.

Cela est en contradiction avec certaines expériences fondamentales du yoga, par exemple celle d'une conscience silencieuse et immobile s'étendant à l'infini, ne dépendant pas de la personnalité mais impersonnelle et universelle, ne voyant pas et n'interprétant pas les contacts mais consciente d'elle-même dans l'immobilité, ne dépendant pas des réactions mais permanente en soi, même lorsqu'aucune réaction ne se produit. La personnalité subjective elle-même est seulement une formation de conscience qui est un pouvoir inhérent, non à l'activité de la personnalité temporairement manifestée, mais à l'être, au Moi ou Pourousha.

La conscience est une réalité inhérente à l'existence. Elle est là, même quand elle n'est pas active à la surface, mais silencieuse et immobile; elle est là, même quand elle est invisible à la surface, quand elle ne réagit pas aux objets extérieurs ou y est insensible, mais qu'elle est retirée et active ou inactive au-dedans; elle est là, même quand elle nous semble tout à fait absente et que l'être paraît à nos yeux inconscient et inanimé.

La conscience n'est pas seulement le pouvoir de se percevoir soi-même et de percevoir les choses, elle est ou possède aussi une énergie dynamique et créatrice. Elle peut déterminer ses propres réactions ou s'abstenir de réagir; elle peut non seulement répondre aux forces, mais créer des forces ou en émaner. La conscience est Chit, mais aussi Chit Shakti.

La conscience est habituellement identifiée au mental, mais la conscience mentale n'est que le domaine humain et ne couvre pas plus tous les domaines possibles de conscience que la vision humaine ne couvre toute la gamme des couleurs, ou l'ouïe humaine toute la gamme des sons - car au-dessus et au-dessous, bien des degrés sont pour l'homme invisibles et inaudibles. Il y a de même des domaines de conscience au-dessus et au-dessous du domaine humain, avec lesquels l'homme normal n'a aucun contact et qui lui semblent inconscients: les domaines du supramental, du surmental et du sous-mental.

Quand Yâjnavalkya dit qu'il n'y a pas de conscience dans l'état du Brahman, il parle de la conscience telle que l'être humain la connaît. L'état du Brahman est celui d'une existence suprême suprêmement consciente d'elle-même, swayamprakâsha - c'est Satchidânanda, Existence-Conscience-Béatitude. Même s'il est décrit comme au-delà de Cela, parâtparam, cela ne signifie pas qu'il est un état de Non-existence ou de Non-conscience, mais qu'il est au-delà même du substrat spirituel le plus élevé (la "fondation au-dessus" selon le paradoxe lumineux du Rig-Véda) de l'existence et de la conscience cosmiques. Selon la description du Tao chinois et du Shoûnya bouddhiste, il s'agit de toute évidence d'un Néant qui contient tout; il en est de même ici de la négation de la conscience.

Les termes supraconscient et subconscient ne sont que relatifs; à mesure que nous nous élevons dans le supraconscient, nous voyons que c'est une conscience plus grande que la plus haute que nous ayons déjà atteinte, et par conséquent, dans notre état normal, elle est pour nous inaccessible; si nous pouvons descendre dans le subconscient, nous y trouvons une conscience autre que la nôtre à sa limite mentale inférieure, qui par conséquent nous est d'ordinaire inaccessible. L'inconscient lui-même n'est qu'un état involué de conscience qui, comme le Tao ou le Shoûnya, bien que d'une manière différente, contient toutes choses comprimées en lui, de sorte que sous une pression d'en haut ou du dedans, tout peut évoluer hors de lui - "Âme inerte dotée d'une Force somnambule".

Les gradations de la conscience sont des états universels qui ne dépendent pas de la vision de la personnalité subjective; c'est plutôt la vision de la personnalité subjective qui est déterminée par le niveau de conscience dans lequel elle est organisée, selon la nature de son type ou le stade de son évolution.

Il devient évident que la conscience désigne quelque chose qui est partout essentiellement semblable, mais qui varie en état, en condition et en mode d'action; en elle, à certains niveaux ou dans certaines conditions, les activités que nous appelons conscience peuvent exister, dans un état soit comprimé, soit inorganisé, soit organisé différemment; alors que dans d'autres états, certaines autres activités peuvent se manifester qui, en nous, sont réprimées, inorganisées ou latentes, ou encore se manifestent moins parfaitement, sont moins intenses, moins étendues et moins puissantes que dans ces degrés supérieurs à notre limite mentale la plus haute.

jeudi 4 décembre 2008

Un mental tranquille

La différence entre un mental vide et un mental calme est celle-ci: lorsque le mental est vide, il n'y a pas de pensées, pas de conception, pas d'action mentale d'aucune sorte, sauf une perception essentielle des choses sans formation d'idées; tandis que dans le mental calme, c'est la substance de l'être mental qui est immobile, si immobile que rien ne la trouble.

Si des pensées ou des activités se produisent, elles ne s'élèvent pas du tout du mental, elles viennent du dehors et traversent le mental comme un vol d'oiseaux traverse le ciel dans l'air immobile. Ils passent, ne troublent rien, ne laissent pas de trace. Même si un millier d'images ou les événements les plus violents traversent le mental, son immobilité paisible demeure, comme si la texture même du mental était faite d'une substance de paix éternelle et indestructible.

Un mental qui a acquis ce calme peut commencer à agir, même intensément et puissamment, mais il conservera son immobilité fondamentale, ne produisant rien de lui-même mais donnant une forme mentale à ce qu'il reçoit d'en haut, sans rien y ajouter du sien, avec calme et impartialité, et pourtant dans la joie de la Vérité et dans la puissance et la lumière heureuses de la transmission.

***

La première chose à faire dans la sâdhanâ est d'établir dans le mental une paix et un silence stables. Autrement, vous pouvez avoir des expériences, mais rien ne sera permanent. C'est dans un mental silencieux que la vraie conscience peut s'édifier.

Un mental tranquille ne signifie pas qu'il n'y aura pas du tout de pensées ni de mouvements mentaux, mais que ceux-ci resteront à la surface et que vous sentirez votre être véritable au-dedans, séparé d'eux, observant sans se laisser entraîner, capable de les surveiller et de les juger, de rejeter tout ce qui doit être rejeté et d'accepter et de conserver tout ce qui est conscience vraie et expérience vraie.

La passivité mentale est bonne, mais veillez à n'être passif qu'à la Vérité et au contact de la divine Shakti. Si vous êtes passif aux suggestions et aux influences de la nature inférieure, vous ne serez pas capable de progresser, ou bien vous vous exposerez à des forces adverses qui peuvent vous mener très loin du vrai chemin du yoga.

Aspirez à ce que la Mère vous donne cette tranquillité et ce calme stables dans le mental et ce sens constant de l'être intérieur en vous, qui se tient en arrière de la nature extérieure et tourné vers la Lumière et la Vérité.

dimanche 30 novembre 2008

Commentaire du 20 septembre 1957

" Il m’a insulté, il m’a frappé, il m’a humilié, il m’a volé ". Ceux qui ne nourrissent pas de telles pensées n’entretiennent pas la haine.

Ceci est la contrepartie de ce que nous avons lu l’autre jour, mais notez qu’il n’est question ici que des pensées qui produisent le ressentiment. C’est parce que la rancune, avec la jalousie, est l’une des causes les plus répandues de la misère humaine.

Mais comment ne pas avoir de rancune ? Un coeur vaste et généreux est certainement le meilleur moyen ; mais ce n’est pas à la portée de tous. Le contrôle de sa pensée peut-être d’un emploi plus général.

Le contrôle de la pensée est la troisième étape de notre discipline mentale. Une fois que le juge éclairé de notre conscience aura discerné entre les pensées utiles et les pensées nuisibles, viendra la police intérieure qui ne laissera passer que les pensées agréées et refusera strictement l’admission à tout élément indésirable.

D’un geste magistral, cette police fermera l’entrée à toute pensée mauvaise et la repoussera aussi loin que possible. C’est ce mouvement d’admission et de refus que nous appelons le contrôle de la pensée, et ce sera l’objet de notre méditation ce soir.

20 septembre 1957

Commentaire du 13 septembre 1957

" Il m’a insulté, il m’a frappé, il m’a humilié, il m’a volé ". Ceux qui nourrissent de telles pensées n’apaisent point leur haine.

Le Dhammapada nous a dit tout d’abord que les mauvaises pensées amènent la souffrance et que les bonnes pensées amènent le bonheur. Maintenant, il nous donne des exemples de ce que sont les mauvaises pensées et il nous dit comment éviter la souffrance. Voici le premier exemple, je répète : " Il m’a insulté, il m’a frappé, il m’a humilié, il m’a volé. " Et il ajoute :
" Ceux qui nourrissent de telles pensées n’apaisent point leur haine."

Nous avons commencé notre discipline mentale en nous basant sur les étapes successives du développement mental et nous avons vu que cette discipline comportait quatre mouvements consécutifs que nous avons ainsi décrits, si vous vous souvenez bien : observer, surveiller, contrôler et maîtriser ; et, lors de la dernière leçon, nous avons appris — je l’espère — à nous détacher de nos pensées afin de pouvoir les observer comme un spectateur attentif.

Aujourd’hui, il nous faut apprendre à surveiller ces pensées. D’abord, on les regarde, puis on les surveille. Apprendre à les regarder comme un juge éclairé afin de discerner entre les bonnes et les mauvaises, entre les pensées utiles et celles qui sont nuisibles, entre les pensées constructrices qui mènent à la Victoire et les pensées défaitistes qui nous en éloignent. C’est ce pouvoir de discernement que nous devons acquérir maintenant et qui fera l’objet de notre méditation de ce soir.

Comme je vous l’ai dit, le Dhammapada nous donnera des exemples, mais les exemples ne sont que des exemples. Il faut que nous-mêmes apprenions à discerner les pensées qui sont bonnes de celles qui ne le sont pas, et, pour cela, il faut regarder, j’ai dit comme un juge éclairé, c’est-à-dire avec autant d’impartialité que possible ; c’est l’une des conditions les plus indispensables.

13 septembre 1957

Commentaire du 6 septembre 1957

En toutes choses, l’élément primordial est le mental. Le mental est prédominant. Tout se fait par le mental. Si un homme parle ou agit avec un mental purifié, le bonheur l’accompagne d’aussi près que son ombre inséparable.

C’est la contrepartie de ce que nous avons lu la dernière fois. Le Dhammapada oppose à un mental mauvais un mental purifié. Nous savons déjà qu’il y a quatre stades successifs pour la purification du mental. Un mental purifié, c’est naturellement un mental qui n’accepte aucune pensée mauvaise, et nous avons vu que la maîtrise complète de la pensée, qui est nécessaire pour obtenir ce résultat, est le dernier accomplissement dans les quatre stades dont je vous ai parlé. Le premier, c’est : observer le mental.

Ne croyez pas que ce soit chose si facile, parce que, pour observer ses pensées, il faut d’abord se détacher d’elles. Dans l’état ordinaire, l’homme ordinaire ne se distingue pas de ses pensées. Il ne sait même pas qu’il pense. Il pense par habitude. Et si on lui demande subitement : " À quoi penses-tu ? " il n’en sait rien. C’est-à-dire que quatre-vingt-quinze fois sur cent il vous répondra : " Je ne sais pas ". Il y a identification totale entre le mouvement de la pensée et la conscience de l’être.

Pour observer la pensée, le premier mouvement est donc de se reculer et de la regarder, de se détacher de ses pensées, que le mouvement de la conscience et celui de la pensée ne soient pas confondus. Ainsi, quand nous disons qu’il faut observer ses pensées, ne croyez pas que ce soit si simple ; c’est un premier pas. Je propose que, ce soir, pendant notre méditation, nous fassions ce premier exercice qui consiste à se tenir en arrière de sa pensée et à la regarder.

6 septembre 1957

Commentaire du 30 août 1957

Chaque vendredi, je vous lirai quelques versets du Dhammapada, puis nous méditerons sur ce texte. C’est pour vous apprendre le contrôle mental.Si je pense que c’est nécessaire, je vous donnerai une explication. Le Dhammapada commence par des versets conjugués ; voici le premier d’entre eux :

En toutes choses, l’élément primordial est le mental. Le
mental est prédominant. Tout provient du mental.

Naturellement, il est question de la vie physique ici, il n’est pas question de l’univers. Si un homme parle ou agit avec un mauvais mental, la souffrance le suit d’aussi près que la roue suit le sabot du boeuf tirant le char. C’est-à-dire que la vie humaine ordinaire, telle qu’elle est dans le monde actuel, est gouvernée par le mental, et, par conséquent, la chose la plus importante est de contrôler son mental ; c’est pourquoi nous allons suivre une discipline graduée, ou " conjuguée " selon l’expression du Dhammapada, pour développer et contrôler notre mental.

Il y a quatre mouvements qui sont généralement consécutifs, mais qui finalement peuvent être simultanés : observer ses pensées, c’est le premier ; surveiller ses pensées, c’est le second ; contrôler ses pensées, c’est le troisième ; et maîtriser ses pensées, c’est le quatrième. Observer, surveiller, contrôler, maîtriser. Tout cela pour se débarrasser d’un mauvais mental, parce qu’il nous est dit que l’homme qui agit et parle avec un mauvais mental est suivi par la souffrance d’aussi près que la roue suit le sabot du boeuf quand il laboure ou tire le char.

30 août 1957

samedi 22 novembre 2008

Entretien de Mère du 17 août 1955

Cet entretien est basé sur le chapitre III de Lumières sur le Yoga, " soumission et ouverture ".

Qu’est-ce que c’est, « la libération de l’être psychique » ?

Parce qu’on a l’impression — ça c’est une impression qu’on a très souvent au début de la sâdhanâ — que l’être psychique est comme enfermé dans une sorte de carapace, de prison, et que c’est ce qui l’empêche de se manifester extérieurement et d’entrer en rapport conscient et constant avec la conscience extérieure, avec l’être extérieur. On a tout à fait l’impression que c’est comme enfermé dans une boîte, ou dans une prison, avec des murs qu’il faut briser, ou une porte qu’il faut forcer pour pouvoir entrer. Alors naturellement, si on peut briser les murs, ouvrir la porte, ça libère cet être psychique qui était fermé et qui peut se manifester extérieurement. Tout ça, ce sont des images. Mais chacun naturellement a son image personnelle, son procédé personnel, mais avec de petites variantes.

Il y a certaines de ces images qui sont très générales pour tous ceux qui ont fait l’expérience. Par exemple, quand on descend dans les profondeurs de son être pour trouver le psychique tout au fond de sa conscience, il y a cette image de descendre dans un puits profond, de plus en plus descendre, descendre, et c’est comme si vraiment on s’enfonçait dans un puits.

Naturellement tout ça, ce sont des analogies ; mais ce sont des associations d’impressions avec l’expérience qui donnent beaucoup de force et de réalité concrète à l’expérience.

Comme quand on va à la découverte de son être intérieur, de toutes les différentes parties de son être, on a très souvent l’impression qu’on pénètre dans une salle ou une chambre, et suivant la couleur, l’atmosphère, les choses qu’elle contient, on a la perception très claire de la partie de l’être qu’on est en train de visiter. Et alors, on peut passer d’une chambre à l’autre, ouvrir des portes et passer dans des pièces de plus en plus profondes, qui ont chacune son caractère propre. Et souvent, ces visites intérieures, on peut les faire dans la nuit. Alors ça prend une forme encore plus concrète, comme un rêve, et on a l’impression qu’on entre dans une maison, et cette maison vous est très familière.

Et suivant les moments, les époques, elle est différente intérieurement, et quelquefois elle peut être dans un état de très grand désordre, de très grande confusion, où toutes les choses sont entremêlées ; il y a même quelquefois des choses brisées ; c’est tout un chaos. À d’autres moments ces choses-là s’organisent, sont mises à leur place ; c’est comme si on avait fait le ménage, on nettoie, on range, et c’est toujours la même maison. Cette maison, c’est l’image, une sorte d’image objective de votre être intérieur. Et suivant ce que vous y voyez ou ce que vous y faites, vous avez une représentation symbolique de votre travail psychologique. C’est très utile pour concrétiser. Cela dépend des gens.

Il y a des gens qui sont seulement des intellectuels, pour qui tout se traduit par des idées et pas par des images. Mais dès qu’on descend dans un domaine plus matériel, eh bien, on risque de ne pas toucher les choses dans leur réalité concrète et de rester seulement dans le domaine des idées, de rester dans le mental et d’y rester indéfiniment. Alors, on croit qu’on fait des progrès, et mentalement on en a fait, quoique ce soit une chose absolument indéfinie.

Le progrès du mental peut durer des milliers d’années, parce que c’est un champ très vaste et très indéfini, et qui se renouvelle constamment. Mais si on veut progresser dans le vital et dans le physique, eh bien, cette représentation imagée devient très utile pour fixer l’action, pour la rendre plus concrète. Naturellement, ça ne se fait pas tout à fait à volonté ; cela dépend de la nature de chacun. Mais ceux qui ont le pouvoir de se concentrer dans des images, eh bien, ils ont une facilité de plus.

S’asseoir en méditation devant une porte fermée, comme si c’était une lourde porte de bronze — et on s’assoit devant, avec la volonté qu’elle s’ouvre — et passer de l’autre côté ; et alors toute la concentration, toute l’aspiration se rassemble dans un faisceau et va pousser, pousser, pousser contre cette porte, et pousser de plus en plus avec une énergie croissante, jusqu’à ce que tout d’un coup elle craque, et on entre. Ça donne une impression très puissante. Et alors, on est comme précipité dans la lumière, et on a la pleine jouissance d’un changement soudain et radical de conscience, avec une illumination qui vous saisit tout entier, et l’impression qu’on devient une autre personne. Et ça c’est une façon très concrète et très puissante d’entrer en contact avec son être psychique.

Douce Mère, ici Sri Aurobindo dit que la conjonction de l’être psychique et de la conscience supérieure est le principal moyen d’obtenir la siddhi. Ordinairement, est-ce qu’il n’y a pas une conjonction entre l’être psychique et la conscience supérieure ?

Ordinairement veut dire dans la vie ordinaire ? Un rapport entre l’être psychique...

Oui.

C’est presque, presque totalement inconscient.

Dans la vie ordinaire, il n’y a pas une personne sur un million qui a un rapport conscient avec son être psychique, même momentané. L’être psychique peut travailler du dedans, mais d’une façon tellement invisible et tellement inconsciente pour l’être extérieur, que c’est comme s’il n’existait pas. Et dans la plupart des cas, l’immense majorité, la presque totalité des cas, il est comme endormi, pas actif du tout, dans une sorte de torpeur.

C’est seulement avec la sâdhanâ et un effort très persistant qu’on arrive à avoir un rapport conscient avec son être psychique. Naturellement, il se peut qu’il y ait des cas exceptionnels — mais ça, c’est vraiment exceptionnel, et c’est en si petit nombre qu’on pourrait les compter — où l’être psychique est un être entièrement formé, libéré, maître de lui-même, et qui a choisi de revenir sur terre, dans un corps humain, pour faire son travail. Et dans ce cas-là, même si la personne ne fait pas consciemment de sâdhanâ, il se peut que l’être psychique soit assez puissant pour établir un rapport plus ou moins conscient. Mais ce sont des cas pour ainsi dire uniques et qui sont les exceptions qui confirment la règle.

Dans presque tous les cas, il faut un effort très, très soutenu pour prendre conscience de son être psychique. Généralement il est considéré que si on met trente ans pour le faire, on est très heureux — trente ans d’effort soutenu, je dis. Il peut se faire que ce soit plus rapide. Mais c’est tellement rare qu’immédiatement on dit : "Cet être-là n’est pas un être humain ordinaire". C’est le cas des gens qui ont été considérés comme des êtres plus ou moins divins et qui ont été des grands yogis, des grands initiés.

(silence)

Vous voulez une concentration, une méditation ?

Je propose qu’on éteigne la lumière... cette lumière-ci, celle-là au-dessus de ma tête, parce que les insectes sont très nombreux.

(méditation)

samedi 1 novembre 2008

Prière pour ceux qui veulent servir le Divin



Gloire à Toi, Seigneur, triomphateur de tous les obstacles.
Permets que rien en nous ne fasse obstacle à Ton oeuvre.
Permets que rien ne retarde Ta manifestation.
Que Ta volonté soit faite en toute chose et à tout moment.

Nous sommes devant Toi pour que Ta volonté
s’accomplisse en nous, dans tous les éléments,
toutes les activités de notre être, depuis les hauteurs suprêmes,
jusqu’aux moindres cellules de notre corps.

Permets que nous Te soyons entièrement et éternellement fidèles.
Nous voulons être complètement sous Ton influence,
à l’exclusion de toute autre.
Permets que nous n’oubliions jamais de T’être
profondément et intensément reconnaissants.

Permets que nous ne gaspillions jamais rien de toutes les choses
merveilleuses que Tu nous donnes à chaque instant.
Permets que tout en nous collabore à Ton oeuvre,
que tout soit prêt pour Ta réalisation.

Gloire à Toi, Seigneur, Réalisateur Suprême.
Donne-nous une foi ardente, active, absolue,
inébranlable en Ta VICTOIRE.

Douce Mère, Le 23 octobre 1937, Prières et Méditations

jeudi 30 octobre 2008

Si nous voulons croître en la vie divine, l'Esprit doit être notre première préoccupation. Tant que nous ne l'avons pas révélé et développé en nous-mêmes, hors des enveloppes mentales, vitales et physiques qui le déguisent, dégagé avec patience de notre propre corps, comme il est dit dans l'Oupanishad, tant que nous n'avons pas construit en nous-mêmes une vie intérieure de l'Esprit, il est évident qu'aucune existence divine extérieure ne peut devenir possible. À moins, évidemment, que ce ne soit une divinité mentale ou vitale que nous ayons en vue et que nous voulions être; mais même alors, l'être mental individuel, ou l'être de pouvoir, de désir et de force vitale en nous, doit croître et devenir une forme de cette divinité, avant que notre vie puisse être divine dans ce sens inférieur, la vie du surhomme infra-spirituelle, du demi-dieu mental ou du titan vital, déva ou asoura.

Cette vie intérieure une fois créée, notre autre préoccupation doit être de convertir tout notre être de surface, nos pensées, nos sentiments, toutes nos actions dans le monde, en un instrument parfait de cette vie intérieure. C'est seulement si, dans les parties dynamiques de notre être, nous vivons de cette manière plus profonde et plus grande, que nous pouvons trouver la force de créer une vie plus grande ou de refaire le monde en un instrument parfait du mental et de la vie ou en un instrument parfait de l'Esprit. Un monde humain parfait ne peut être créé par des hommes imparfaits ni composé d'hommes qui sont eux-mêmes imparfaits. Même si toutes nos activités sont scrupuleusement réglées par l'éducation, la loi, ou par un mécanisme social ou politique, il n'en résultera qu'un type de mentalité réglementé, un type de vie fabriqué, un type de conduite artificiellement cultivé; mais un conformisme de cette sorte ne peut pas changer, ne peut pas recréer l'homme du dedans, il ne peut pas tailler ou sculpter une âme parfaite, un penseur parfait, un être vivant et croissant parfait.

Car l'âme, le mental et la vie sont des pouvoirs de l'être qui peuvent croître mais qui ne peuvent pas être taillés ou fabriqués; une formation ou un processus extérieurs peuvent aider ou peuvent exprimer l'âme, le mental et la vie, mais ne peuvent pas les créer ou les développer. On peut certes aider l'être à croître, mais ce n'est pas en essayant de le manufacturer, c'est en lui prodiguant des influences stimulantes ou en lui prêtant les forces de son âme, de son mental, ou de sa vie; mais même ainsi, la croissance ne doit pas venir du dehors, elle doit venir de l'intérieur de l'être, et depuis là, déterminer comment seront utilisées ces influences et ces forces. Telle est la première vérité que notre aspiration et notre zèle créateurs doivent apprendre; sinon tout notre effort humain est d'avance condamné à tourner futilement en rond et voué à un succès qui n'est qu'une faillite déguisée.

Être ou devenir quelque chose, amener quelque chose à l'existence est tout le labeur de la Nature et de sa force; savoir, sentir, faire, sont des énergies subordonnées qui ont leur valeur, parce qu'elles aident l'être à se réaliser partiellement afin d'exprimer ce qu'il est, et qu'elles l'aident aussi dans son élan pour exprimer le “plus encore” qu'il n'a pas réalisé et qu'il doit être. Mais la connaissance, la pensée et l'action, qu'elles soient religieuses, éthiques, politiques, sociales, économiques, utilitaires ou hédonistes, que ce soit une forme ou une construction mentale, vitale ou physique de l'existence, ne peuvent pas être l'essence ou le but de la vie; ce sont seulement les activités des pouvoirs de l'être ou des pouvoirs de son devenir, des symboles dynamiques de lui-même, des créations de l'Esprit incarné, ses moyens de découvrir et de formuler ce qu'il cherche à être. Parce qu'il prend pour essentielles ou fondamentales les forces ou les apparences superficielles de la Nature, le mental physique de l'homme a tendance à voir autrement et à tourner sens dessus-dessous la vraie méthode des choses.

Il prend les créations de la Nature au moyen de procédés visibles ou extérieurs pour l'essence même de son action et ne voit pas que c'est une simple apparence secondaire qui recouvre un processus secret plus grand. Car le processus occulte de la Nature est de révéler l'être en faisant apparaître ses pouvoirs et ses formes; sa pression extérieure n'est qu'un moyen d'éveiller l'être involué à la nécessité de cette évolution, de cette formation de soi. Quand le stade spirituel est atteint dans l'évolution de la Nature, ce processus occulte doit devenir le processus total. Il est donc d'une importance capitale de traverser le voile des forces et de toucher leur ressort secret qui est l'Esprit lui-même.

Devenir soi-même est la seule chose à faire; mais le vrai soi-même est celui qui est au-dedans de nous, et dépasser notre moi extérieur corporel, vital et mental est la condition pour que cet être le plus haut, qui est notre être véritable et divin, se révèle lui-même et devienne actif. C'est seulement en grandissant au-dedans et en vivant au-dedans que nous pouvons le trouver; une fois que cela est fait, le but final que la force de la Nature nous propose, c'est de créer, depuis là, un mental, une vie et un corps spirituels ou divins et à l'aide de ces instruments, d'arriver à la création d'un monde qui soit le vrai milieu d'une existence divine. La première nécessité est donc que l'individu - chaque individu - découvre l'Esprit, la Réalité divine qui est en lui et qu'il l'exprime dans tout son être et toute son existence.

Une vie divine doit être d'abord et avant tout une vie intérieure. Car du moment que l'extérieur doit être l'expression de ce qui est au-dedans, il ne peut y avoir de divinité dans l'existence extérieure si l'être intérieur n'est pas divinisé. Dans l'homme, la Divinité habite voilée son centre spirituel; s'il n'a pas réellement en lui un moi éternel, un esprit éternel, il est impossible que l'homme parvienne à se dépasser lui-même ou qu'il trouve une issue plus haute à son existence.

La Vie Divine par Sri Aurobindo

mardi 28 octobre 2008

L'Heure de Dieu



Il y a des moments où l'Esprit se meut parmi les hommes, où le souffle du Seigneur se répand sur les eaux de notre être. Il en est d'autres où il se retire et abandonne les hommes à leurs actes, dans la force ou la faiblesse de leur propre égoïsme. Les premiers sont des périodes où même un léger effort suffit à produire de grands résultats et à changer la destinée, les autres sont des espaces de temps où un grand labeur n'apporte que de maigres résultats. Il est vrai que ces moments-ci peuvent préparer les premiers; comme la fumée légère du sacrifice montant vers le ciel, ils peuvent appeler ici-bas la pluie de la munificence divine.

Infortunés, l'homme ou la nation, qui se trouvent endormis lorsque arrive le divin moment ou qui ne sont pas prêts à s'en saisir parce que la lampe n'a pas été entretenue pour l'accueillir, parce que leurs oreilles sont restées sourdes à l'appel. Mais trois fois malheur à ceux qui sont forts et préparés, et qui cependant gaspillent leur force ou mésusent de ce moment ; pour ceux-là, la destruction est grande et la perte irréparable.

Lorsque vient l'Heure de Dieu, purifie ton âme de toute tricherie avec elle-même, de toute hypocrisie et vaine infatuation, afin que tu puisses regarder droit dans ton esprit et entendre ce qui l'appelle. Toute absence de sincérité dans la nature - c'était autrefois ta défense contre l'oeil du Maître et la lumière de l'idéal - devient maintenant un défaut dans ton armure et une invite pour les coups. Et si tu vaincs pour l'instant, c'est plus grave encore pour toi, car le coup viendra sûrement qui te jettera à terre au milieu même de ton triomphe. Mais si tu es pur, rejette toute crainte. L'heure est souvent terrible, telle un feu, un tourbillon, une tempête, telle les vendanges foulées sous la colère de Dieu.

Mais celui qui peut se tenir debout à cette heure, soutenu par la vérité de son but, celui-là durera; même s'il tombe, il se relèvera; même s'il semble passer sur les ailes du vent, il reviendra.

Ne laisse pas non plus la prudence du monde murmurer de trop près à tes oreilles, car c'est l'heure de l'inattendu, de l'incalculable, de l'incommensurable. Ne juge pas du pouvoir du Souffle à la mesure de tes minuscules instruments, mais aie confiance et avance.

Mais garde ton âme le plus que tu peux nette des vociférations de l'ego, même si ce n'est que pour un moment. Alors une colonne de feu marchera devant toi dans la nuit et la tempête sera ton auxiliaire et ta bannière flottera sur les plus hauts sommets de la grandeur qui était à conquérir.

Sri Aurobindo 1918