mercredi 30 décembre 2009

La vision et la Grâce

La terre était ravagé par le feu
Et le grondement de la mort
Hurlait pour massacrer un monde que sa faim avait créé ;
J'ai entendu retentir les ailes de fer de la destruction :
Le cri de guerre du titan résonnait dans mes oreilles,
l'alarme et le tumulte secouaient la nuit armée.

J'ai vu les pionniers de flamme du Tout-puissant
Sur le versant céleste qui touche la vie
Descendre en foule les marches d'ambre de la naissance ;
Avant-coureurs d'une multitude divine
Ils venaient par les sentiers de l'étoile du matin,
Ils entraient dans le petit espace de la vie mortelle.

Je les ai vus traverser le crépuscule d'un âge,
Les fils aux yeux de soleil d'une aube merveilleuse,
Les grands créateurs au front ceint de calme,
Puissants briseurs des barrières du monde
Et lutteurs contre le destin dans le champ clos de ses décrets,
travailleurs dans les mines des dieux,
Messagers de l'Incommunicable,
Architectes de l'immortalité.

Ils entraient dans la sphère déchue des hommes,
Leurs faces portaient encore la gloire de l'Immortel,
Leurs voix communiaient encore avec la pensée de Dieu,
Leurs corps irradiaient la beauté de la Lumière de l'Esprit,
Porteurs du mot magique, du feu mystique,
Porteurs de la coupe dionysiaque de la joie,
Leurs yeux brillaient d'un homme plus divin,
Leurs lèvres chantaient l'hymne inconnu de l'allégresse de l'âme,
Leurs pas résonnaient dans les corridors du temps.

Grands prêtres de la sagesse et de la douceur et de la puissance et félicité,
Découvreurs des chemins ensoleillés de la beauté,
Nageurs des torrents rieurs de l'Amour brûlant,
Corybantes dans le temple d'or de l'extase,
Un jour leur pas changeront la souffrance de la terre
et justifieront la lumière sur la face de la nature.
...

Sri Aurobindo,
Extrait de Savitri livre III, chant IV.

jeudi 24 décembre 2009

mardi 1 décembre 2009

Carnet du 19 mars 1983

Pour moi, tel que je le comprends, toutes ces manipulations ont un seul sens : la descente, l'infiltration et l'imprégnation de la conscience matérielle par le Pouvoir nouveau. C'est ça qui fait le travail et qui sait ce qu'il a à faire, nous ne savons rien.

Les effets de ce Pouvoir :

1) Purification du subconscient et de toutes les vieilles empreintes, réactions, habitudes de la conscience matérielle, corporelle. C'est le "cocon noir". Ça triture tout ce magma collant.

2) Plus ça purifie, plus le filet se décolle, et par voie de conséquence, c'est l'élargissement de la conscience matérielle qui retrouve son unité avec la Matière. Le corps "pur" se dé-couvre de son manteau individuel, un manteau de mensonge. C'est le faux corps mortel qui peu à peu se laisse infiltrer et envahir par le vrai corps total.

3) L'effet ultime (ou prochain) doit être l'éveil de la conscience cellulaire : la splendeur qui est dedans. Ce qui est tout en haut éveille ce qui est tout en bas. Alors le travail se fera automatiquement du dedans, de l'intérieur du corps. Ce sera le commencement de la supramentalisation, avec ses effets inconnus.

Les moyens du travail :

Je n'en connais qu'un : Le mantra de Mère. Et d'abord cette merveilleuse syllabe ÔM, magique, comme un harpon de lumière, qui monte tout droit et va ouvrir les écluses du Supramental ou du Pouvoir nouveau. C'est vraiment l'invocation du Suprême. Et la réponse merveilleuse.

Et puis l'abandon total, sans peur : se laisser emporter par le Pouvoir comme un fétu, laisser faire, surtout laisser faire, ne jamais "orienter" l'expérience. La passivité totale avec l'aspiration intense du corps : être à Toi. C'est tout. Si on est à Toi purement, tout le reste en découle.

Le nom de Sri Aurobindo est aussi un merveilleux Mantra.

Extraits de Carnets d'une Apocalypse

dimanche 1 novembre 2009

Le goût du Divin

C’était ce sentiment si chaud, si intime, si... (je ne sais pas comment dire), si doux et si puissant à la fois, et si... oh ! c’était concret ! Toute l’atmosphère, toute l’atmosphère était devenue concrète: tout-tout avait le goût du Seigneur. Je ne sais pas comment expliquer cela. C’était tout à fait matériel, c’était comme si on en avait plein la bouche! plein partout, comme ça – c’était comme cela. Et d’une façon tellement physique! comme... on pourrait le comparer au goût le plus délicieux qu’on puisse avoir (c’était le sens du contact et du goût), très-très matériel. C’était comme si, en fermant la main, on avait au-dedans de sa main quelque chose de solide – une vibration si chaude, si douce et si forte, si puissante, si concrète !

Évidemment, cela prouve qu’il y a une évolution dans ce sens-là, dans toute cette agglomération de cellules, mais...

Au fond, on veut autre chose.

Au fond, ce que l’on veut, c’est... (long silence) c’est quelque chose comme un absolu dans la présence, l’action, la conscience, qui annule ce (Mère fait un geste ici qui, peut-être, exprime une distance, une séparation, ou un échange entre deux choses distinctes)... On ne peut presque plus appeler cela une «dualité», mais il y a tout de même «quelque chose qui voit et qui sent». C’est cela qui irrite.

Je sens bien, n’est-ce pas, tout-tout est tendu comme ça vers une chose: «Toi, Toi seul, et qu’il n’y ait que Toi»... On ne peut pas dire «Moi» (il y a toujours un malentendu avec cet imbécile de moi), mais ce n’est pas «Toi», ce n’est pas «Moi», c’est... une seule chose. Que ÇA, ça soit, et rien d’autre.

Tant que ce n’est pas ÇA, ah! c’est... oui, on empierre la route.

Alors ce n’est pas amusant à dire.

Si, c’est important.

(long silence)

C’est nuit et jour, et jour et nuit, quand je vois les gens, quand je ne les vois pas...

Quand je suis toute seule, alors c’est admirable ! Ce corps, dès qu’il est tout seul, oh !... c’est comme s’il fondait – comme cela, fondait. Il n’y a plus de limites, il est content: «Oh! enfin, je peux ne plus être !»

Et alors, vraiment – vraiment il s’oublie; vraiment ça passe à autre chose.

Mais tout le reste du temps... Et puis les lettres à lire, les choses à organiser et les gens à voir, du matin jusqu’au soir. Et la nuit, chaque fois que je sors de ma transe, il y a comme une nuée de choses qui sont là (geste autour de la tête) à attendre qu’on les entende, qu’on leur prête attention.

Parfois il y a des choses amusantes; si je notais tout ce que je vois! Il y a des choses... des choses qui paraissent non pas comme elles sont dans la vie ordinaire, mais telles quelles sont, vues par un œil un peu plus clairvoyant – c’est assez amusant. Mais enfin ce n’est rien, c’est une sorte de distraction.

Et tout le temps, il dit... Tu sais, il est simplement merveilleux (le corps), tout le temps, chaque fois que je bougonne ou je ronchonne, il dit : «Mais c’est pour Moi, c’est Moi, c’est Moi, c’est pour Moi...», comme ça. «N’oublie pas, c’est pour Moi, c’est Moi, c’est Moi qui amène les gens, c’est Moi qui organise, c’est Moi qui leur fais demander, c’est Moi...» Bien-bien. Alors je me tire les oreilles ou les cheveux, et je me dis : imbécile !

(silence)

Mais cette expérience, c’était la première fois que je l’avais. Le contact physique, je t’ai dit que je l’avais déjà eu; mais là, ce n’était pas ça, c’était beaucoup plus matériel que ça, et cela avait une relation avec le goût. C’était comme si toute l’atmosphère et toutes les choses étaient un aliment merveilleux, une nourriture... une nourriture extatique.

Pour l’odorat, j’avais déjà eu l’expérience: la vibration divine, la vibration d’Ananda dans les odeurs. Tu sais que Nripendra a sa cuisine juste sous ma fenêtre: il passe sa matinée et son après-midi à faire de la cuisine pour les enfants; tout ça, ça monte, ça vient avec des bouffées d’air. Et quand l’arbre du Samâdhi est en fleurs, ça vient avec des bouffées d’air; quand les gens brûlent de l’encens en bas, ça vient avec des bouffées d’air – tous-tous les parfums («parfums»: disons odeurs). Et tout cela, ça vient généralement pendant que je marche pour mon japa : c’est l’Ananda des odeurs, chacune avec son sens, son expression, son... (comment dire ?) son mobile et son but, comme ça – admirable! Et il n’y a plus de bonnes ou de mauvaises odeurs, ça n’existe plus: chacune a son sens – son sens et sa raison d’être. J’ai eu cette expérience depuis longtemps.

Mais ça (l’expérience du goût), c’était tout à fait nouveau. Ça n’a pas duré longtemps: ça a duré quelque minutes seulement parce que j’étais ahurie! C’était comme si ma bouche était pleine, tu sais, des nourritures les plus merveilleuses qu’on puisse imaginer. Et puis mes mains ramassaient ça dans l’atmosphère, c’était si drôle !

Évidemment on est en train de préparer le corps à quelque chose.

Mais ce corps est encore beaucoup trop ouvert aux formations mentales des gens, alors il a à lutter contre... – oh!

C’est cela que je lui reproche: pourquoi il lutte ? Pourquoi, tout d’un coup, j’ai une fatigue terrible qui tombe sur moi ? Alors il faut se raidir. Lui, naturellement, il ne fait qu’une chose: il répète automatiquement le mantra; alors tout se tasse et tout s’arrange. Mais pourquoi est-ce nécessaire ? Cela devrait se faire automatiquement (le nettoyage des vibrations mauvaises). Pourquoi avoir besoin de se souvenir ? ou d’opposer une lutte – oh ! une bataille !


Ce n’est pas lui qui se plaint, il ne se plaint pas du tout: c’est moi qui me plains ! Je crois qu’il fait de son mieux mais il y a en travers cette espèce de (on peut à peine parler de mental), cette espèce d’activité de type mental dans la matière, qui intervient... c’est sordide. Je n’ai pas encore pu l’éliminer tout à fait.


Il y a des moments où c’est tout à fait arrêté. Oh! pendant que je marche, quelquefois, tout est tenu comme ça (geste, comme si tout était dominé d’en haut et immobilisé), raide.

Mais alors, la difficulté, c’est que, pour la conscience ordinaire (et malheureusement je suis entourée d’un tas de gens qui ont une conscience très ordinaire – enfin elle me paraît très ordinaire; au point de vue humain, probablement, ce sont des gens assez remarquables, mais pour moi, elle me paraît tout à fait ordinaire), pour la conscience ordinaire, ça a l’air d’un état d’abrutissement, d’imbécillité, de coma, ou bien de... oui, de torpeur. Ça a toutes ces apparences. Quelque chose qui devient immobile, irresponsif, arrêté net, comme ça (même geste que tout à l’heure): on ne peut plus penser, on ne peut plus observer, on ne peut plus réagir, on ne peut plus rien, on est comme ça (même geste). Mais il y a tout ça qui vient du dehors, tout le temps, tout le temps, des choses qui viennent et qui essayent d’interrompre ça; mais si j’arrive à les empêcher, si je peux garder cet état, au bout d’un certain temps ça devient quelque chose de si MASSIF ! de si concret dans la puissance, si massif dans son immobilité, ooh !... Ça doit mener quelque part.

Mais je n’ai pas pu garder cet état assez longtemps (il faut le garder pendant des heures), je n’ai pas pu: il y a tout le temps quelque chose qui interrompt. Et alors, quand le corps est tiré de là brusquement, c’est comme s’il perdait son équilibre; alors là, il y a un petit moment qui est mauvais.

Je comprends les gens qui s’en vont ! Mais ce n’est pas ça, c’est pas ça qu’on veut de moi! C’est que j’aie assez de souplesse pour que les deux puissent être en même temps (geste exprimant l’emboîtement ou la fusion des deux mondes)...

Extrait de l'Agenda du 19 mai 1961

vendredi 16 octobre 2009

30 juillet 1914

J'ai écouté la voix des vagues et elle m'a conté bien des merveilles. Elle m'a parlé de la joie de vivre et des extases du mouvement.

Ô mer, tu m'as redit en un cantique sans fin et sans cesse renouvelé la puissance d'amour qui rend vraies toutes choses. En contemplant la splendeur de ton action invincible, j'ai perçu l'irrésistible élan emportant l'univers vers la Suprême Réalité; la force qui te soulève et change en montagnes ta surface n'est-elle point semblable à celle qui fait sortir le monde de son inertie pour faire naître en lui l'aspiration vers le Divin.

Puis à mesure que dans le silence je te regardais, plus profondément encore tu m'as parlé, et tu m'as dit le grand mystère de l'Amour éternel s'aimant en toutes les formes, se révélant à lui-même dans toutes les activités. Déjà en mon être cet ineffable Amour vivait conscient de lui- même, mais à cette heure-là sa vie revêtit une exceptionnelle intensité, ou peut-être la perception individuelle fut d'une exceptionnelle clarté.

Ô Seigneur adorable, Souverain Maître du monde, Toi qui étant tout possèdes et jouis de tout, as-Tu, à cet instant de Ton éternité, jeté un plus précis regard vers nous pour que nous soyons ainsi baignés d'une telle magnificence d'amour, ou bien as-Tu, dans l'humble instrument de cet être fugitif et limité, voulu goûter de façon plus forte et complète, plus intense et précise Ta propre joie d'être et de Te manifester ? Tout s'est soudain éclairé de l'inexprimable beauté de Ta Vérité et dans le miroir de la conscience individuelle Tu as réfléchi l'infinie variété des modes d'expression propre de Ton être qui est Amour.

Douleur et jouissance s'unissaient à se confondre en une extase qui semblait devoir consumer l'être de ses flammes ardentes. Oh, que ce quelque chose de Toi qui s'est cristallisé en ce que j'appelle mon être T'a bien compris et T'a puissamment aimé en ces instants inoubliables. Toutes les barrières de la pensée et de la sensation avaient disparu, consumées par l'ardeur de Ton feu divin et ce fut bien Toi-même en cet instant qui jouis de Ton éternelle et infinie présence en tout. Tu fus toutes les actions et toutes les résistances, toutes les sensations et toutes les pensées, celui qui aime et celui qui est aimé, ce qui se donne et ce qui reçoit en une inépuisable et mouvante harmonie.

J'ai écouté le cantique des vagues et il m'a conté de bien grandes merveilles.

jeudi 17 septembre 2009

La découverte suprême

Si nous voulons progresser intégralement, il nous faut ériger en notre être conscient une synthèse mentale forte et pure qui puisse nous servir de protection contre les tentations du dehors, de point de repère pour nous éviter tout détour, de phare pour éclairer notre route sur l'océan mouvant de la vie. Chacun doit construire cette synthèse mentale suivant ses propres tendances, ses propres affinités, ses propres aspirations. Mais si nous la voulons vraiment vivante et lumineuse, il faudra qu'elle ait à son centre l'idée qui est la représentation intellectuelle symbolique de Ce qui est au centre de notre être, de Ce qui est notre vie et notre lumière.

Cette idée exprimée en paroles sublimes a été enseignée sous des formes diverses par tous les grands Instructeurs à travers tous les pays et tous les temps. Le Moi de chacun et le Grand Moi universel ne sont qu'un.

Tout ce qui est étant de toute éternité dans son essence et son principe, pourquoi distinguer entre l'être et son origine, entre nous-même et ce que nous plaçons au commencement ? C'est avec raison que d'anciennes traditions disaient : "Nous et notre origine, nous et notre Dieu sommes un."

Et cette unité doit s'entendre non point comme un simple rapport d'union plus ou moins étroite et intime, mais comme une identité véritable. Ainsi, quand il essaie de remonter de proche en proche jusqu'à l'inaccessible, l'homme qui cherche le divin oublie que toute sa connaissance et toute son intuition ne sauraient lui faire faire un pas dans cet infini, et il ne sait pas que ce qu'il veut atteindre, que ce qu'il croit si loin de lui est en lui.

Et comment pourrait-il savoir quelque chose de l'origine tant qu'il ne prend pas conscience de cette origine en lui-même ? C'est en se comprenant lui-même, en apprenant à se connaître qu'il peut faire la découverte suprême et, émerveillé, s'écrier comme le patriarche dont parle la Bible : "C'est ici la maison de Dieu et moi je ne le savais pas."

C'est pourquoi il faut exprimer la pensée sublime, créatrice des mondes matériels, faire entendre à tous la parole qui remplit les cieux et la terre : "Je suis en toute chose et en chaque être." Quand tous sauront cela, le jour promis des grandes transfigurations sera proche. Quand dans chaque atome de la matière les hommes reconnaîtront la pensée de Dieu qui l'habite, lorsqu'en chaque créature vivante ils apercevront l'ébauche d'un geste de Dieu, lorsqu'on chaque homme son frère saura voir Dieu, alors l'aube naîtra, chassant les ténèbres, les mensonges, les ignorances, les fautes et les douleurs qui accablent la nature entière.

Car "la nature entière souffre et gémit attendant que les Fils de Dieu se révèlent". C'est bien la pensée centrale, celle qui résume toutes les autres, celle qui devrait être toujours présente dans notre souvenir comme le soleil qui illumine toute la vie.

C'est pourquoi je vous la rappelle aujourd'hui. Car si nous poursuivons notre route en emportant dans notre cœur cette pensée comme le joyau le plus rare, le trésor le plus précieux, si nous lui laissons faire son œuvre d'illumination, de transfiguration en nous, nous saurons qu'elle est vivante au centre de tout être et de toute chose, et en elle nous sentirons cette merveilleuse unité de l'univers.

Alors nous comprendrons combien vaines et enfantines sont nos pauvres satisfactions, nos sottes disputes, nos mesquines passions, nos indignations aveugles. Nous verrons se dissoudre nos petits travers, tomber les derniers retranchements de notre personnalité bornée, de notre égoïsme inintelligent. Nous nous sentirons emportés dans ce sublime courant de spiritualité vraie qui nous fera sortir de nos cadres limités, de nos étroites frontières :

Le Moi individuel et le Moi universel ne sont qu'un; en chaque monde, en chaque être, en chaque chose, en chaque atome est la Présence Divine, et l'homme a pour mission de la manifester. Pour cela, il lui faut prendre conscience de cette présence Divine en lui. Certains, pour y parvenir, ont besoin d'un véritable apprentissage : leur être égoïste est trop absorbant, trop fixe, trop conservateur, et la lutte contre lui est longue et douloureuse. D'autres, au contraire, plus impersonnels, plus plastiques, plus spiritualisés, entrent facilement en contact avec la source inépuisablement divine de leur être. Mais ceux-là aussi, ne l'oublions pas, doivent quotidiennement, constamment, se livrer à un méthodique travail d'adaptation, de transformation, afin que rien en eux ne vienne plus obscurcir le rayonnement de cette pure lumière.

Mais comme le point de vue change dès que l'on atteint cette conscience profonde ! Comme la compréhension s'élargit, comme la bienveillance s'accroît ! À ce sujet un sage a dit : "Je voudrais que chacun de nous en vînt au point d'apercevoir le Dieu intérieur qui réside même dans le plus vil des êtres humains; au lieu de le condamner nous dirions : "Surgis, Être resplendissant, toi qui es toujours pur, qui ne connais ni la naissance ni la mort, surgis, Tout-Puissant et manifeste ta nature."

Conformons-nous à cette belle parole et nous verrons tout se transformer comme par miracle autour de nous.

Voilà l'attitude d'amour vrai, conscient, perspicace, de l'amour qui sait voir derrière les apparences, comprendre malgré les mots, et qui, à travers tous les obstacles, communie constamment avec les profondeurs. Que pèsent nos impulsions et nos désirs, nos angoisses et nos violences, nos souffrances et nos luttes, toutes ces péripéties intimes dramatisées indûment par notre imagination déréglée, que pèsent-elles devant ce grand, ce sublime, ce divin amour penché sur nous du plus profond de notre être, indulgent à nos faiblesses, redressant nos erreurs, cicatrisant nos plaies, baignant notre être tout entier de ses effluves régénérateurs?

Car la Divinité intérieure ne s'impose point, ne réclame point, ne menace point; elle s'offre, elle se donne, elle se cache, elle s'oublie au sein des êtres et des choses; elle ne blâme point, elle ne juge ni ne maudit ni ne condamne, mais elle est à l'oeuvre sans cesse pour perfectionner sans contrainte, réparer sans reproches, pour encourager sans impatience, pour enrichir chacun de tous les trésors qu'il peut recevoir; elle est la mère dont l'amour enfante et nourrit, garde et protège, conseille et console; elle comprend tout, c'est pourquoi elle supporte tout, elle excuse et pardonne tout, elle espère et prépare tout; portant tout en elle, elle n'a rien qui ne soit à tous, et parce qu'elle règne sur tous elle est servante de tous; c'est pourquoi ceux qui, petits ou grands, veulent être rois avec elle et dieux en elle, se font, comme elle, non point despotes mais serviteurs parmi leurs frères.

Qu'il est beau cet humble rôle de serviteur, ce rôle de tous ceux qui furent des manifestateurs, des annonciateurs du Dieu qui est en tous, du Divin Amour animant toute chose...

Et en attendant de pouvoir suivre leur exemple et devenir comme eux de vrais serviteurs, laissons-nous pénétrer par ce Divin Amour, transformer par Lui; donnons-Lui, sans restriction, ce merveilleux instrument qu'est notre organisme matériel. Il lui fera produire son maximum dans tous les plans d'activité.

Pour arriver à cette totale consécration de nous-même, tous les moyens sont bons, toutes les méthodes ont de la valeur. La seule chose tout à fait indispensable est la persévérance dans la volonté d'atteindre ce but. Car alors toutes les études que l'on fait, tous les actes que l'on accomplit, tous les êtres humains que l'on rencontre, viennent nous apporter une indication, une aide, une lumière pour nous guider sur le chemin.

Avant de terminer, pour ceux qui ont déjà fait beaucoup d'efforts infructueux en apparence, pour ceux qui ont fait connaissance avec les embûches sur la route et qui ont mesuré leur faiblesse, pour ceux qui risquent de perdre confiance et courage, j'ajouterai quelques pages. Destinées à réveiller l'espoir au cœur de ceux qui souffrent, elles ont été écrites par un travailleur spirituel au moment où toutes les épreuves fondaient sur lui comme des flammes purificatrices.

Vous qui êtes las, abattus, meurtris, vous qui tombez, qui vous croyez vaincus peut-être, écoutez la voix d'un ami; il connaît vos tristesses, il les a partagées, il a souffert, ainsi que vous, des maux de la terre; il a comme vous traversé des déserts sous le faix du jour, il sait ce que sont la soif et la faim, la solitude et l'abandon, le dénûment du cœur plus cruel que les autres ; hélas S il sait aussi ce que sont les heures de doute, il connaît les erreurs, les fautes, les défaillances, toutes les faiblesses.

Mais il vous dit : courage ! Écoutez la leçon que, chaque matin, apporte à la terre, dans ses premiers rayons, le soleil levant. C'est une leçon d'espérance, un message de consolation.

Vous qui pleurez, vous qui souffrez, vous qui tremblez, n'osant prévoir le terme de vos maux, l'issue de vos douleurs, regardez : Il n'est pas de nuit sans aurore, et l'aube se prépare quand l'ombre s'épaissit; il n'est pas de brouillard que le soleil n'efface, pas de nue qu'il ne dore, pas de pleur qu'il ne sèche un jour, pas d'orage après lequel ne rayonne son arc triomphal, il n'est de neige qu'il ne fonde, ni d'hiver qu'il ne change en printemps radieux.

Et pour vous non plus, il n'est pas d'affliction qui ne produise son poids de gloire, pas de détresse qui ne puisse être transformée en joie, de défaite en victoire, de chute en ascension plus haute, de solitude en foyer de vie, de désaccord en harmonie; parfois c'est le malentendu de deux esprits qui oblige deux cœurs à s'ouvrir pour communier; il n'est pas, enfin, d'infinie faiblesse qui ne puisse se changer en force. Et même c'est dans la faiblesse suprême qu'il plaît à la toute-puissance de se révéler!

Écoute, mon petit enfant, qui te sens aujourd'hui si brisé, si déchu peut-être, qui n'as plus rien, plus rien pour couvrir ta misère et nourrir ton orgueil, jamais encore tu n'as été plus grand ! Comme il est près des cimes, celui qui s'éveille dans les profondeurs, car plus l'abîme s'approfondit, plus les hauteurs aussi se révèlent!

Ne sais-tu pas cela, que les forces les plus sublimes des extensions cherchent pour se vêtir les voiles les plus opaques de la matière? Oh les noces splendides du souverain amour et des plus obscures plasticités, du désir de l'ombre avec la plus royale lumière!

Si l'épreuve ou la faute t'ont jeté bas, si tu as sombré dans quelque bas-fonds de souffrance, ne t'afflige point, car c'est là que pourront t'atteindre la divine tendresse et la suprême bénédiction! Parce que tu es passé au creuset de douleurs purificatrices, à toi les ascensions glorieuses.

Tu es au désert : eh bien, écoute les voix du silence. Le bruit des paroles élogieuses et des applaudissements du dehors avait réjoui ton oreille, mais les voix du silence réjouiront ton âme en éveillant en toi l'écho des profondeurs, le chant des harmonies divines!

Tu marches en pleine nuit. Eh bien, recueille les trésors sans prix de la nuit. Au grand soleil s'illuminent les routes de l'intelligence, mais dans la nuit, aux clartés blanches, se trouvent les sentiers cachés de la perfection, le secret des richesses spirituelles.

Tu suis la voie des dépouillements ; elle conduit vers la plénitude. Quand tu n'auras plus rien, tout te sera donné. Car pour ceux qui sont sincères et droits, c'est toujours du pire que sort le meilleur.

Chaque grain que l'on met en terre en produit mille. Chaque coup d'aile de la douleur peut être un essor vers la gloire.

Et quand l'adversaire s'acharne sur l'homme, tout ce qu'il fait pour l'anéantir le grandit.

Écoute l'histoire des mondes, regarde : le grand ennemi semble triompher. Il jette dans la nuit les êtres de lumière, et la nuit se remplit d'étoiles. Il s'acharne sur l'œuvre cosmique, il attente à l'intégrité de l'empire sphérique, rompt son harmonie, le divise et le subdivise, disperse sa poussière aux quatre vents de l'infini, et voici que cette poussière se change en semence dorée, fécondant l'infini et le peuplant de mondes qui, désormais, autour de leur centre éternel graviteront dans l'orbite élargie de l'espace; en sorte que la division même produit une unité plus riche et plus profonde, et multipliant les surfaces de l'univers matériel, agrandit l'empire qu'elle devait ruiner.

Il était beau, certes, le chant de la sphère primordiale bercée au sein de l'immensité; mais comme elle est plus belle encore et plus triomphale la symphonie des constellations, la musique des sphères, la chorale immense, remplissant les cieux d'un hymne éternel de victoire!

Écoute encore : nul état n'était plus précaire que celui de l'homme quand sur la terre il fut séparé de son origine divine. Au-dessus de lui s'étendait la frontière hostile de l'usurpateur, et aux portes de son horizon veillaient des geôliers armés d'épées flamboyantes.

Alors, comme il ne pouvait plus monter à la source de la vie, cette source jaillit en lui; comme il ne pouvait plus recevoir d'en haut la lumière, cette lumière resplendit au centre même de son être; comme il ne pouvait plus communier avec le transcendant amour, cet amour se fit holocauste et s'offrit, choisissant chaque être terrestre, chaque moi humain pour demeure et pour sanctuaire.

Voilà comment, dans cette matière méprisée mais féconde, désolée mais bénie, chaque atome renferme une pensée divine, chaque être porte en lui le Divin Habitant. Et si nul, dans tout l'univers, n'est aussi infirme que l'homme, nul non plus n'est aussi divin!

En vérité, en vérité, dans l'humiliation se trouve le berceau de la gloire !

28 avril 1912

samedi 15 août 2009

samedi 1 août 2009

Agenda du 18 juin 1965

Tu te souviens de ce que j'avais dit? que ce serait un «corps physique amélioré» – improved – qui ferait la transition entre le corps humain et le corps supramental ?... Sri Aurobindo m'a dit à sa manière, la nuit dernière, que c'était cela, que c'était vrai. C'était très intéressant. Très intéressant.

La nuit dernière, pendant longtemps, nous allions dans toutes sortes d'endroits que je ne connais pas: des villes, des campagnes, des forêts, etc. Ça a duré très longtemps. Et une fois, nous étions là, près d'une forêt (près d'une route qui traversait une forêt) et nous étions occupés, nous «parlions», lorsque, tout d'un coup, il se lève d'un bond... Tu sais, pour ainsi dire, il n'a jamais d'habits; je l'avais vu une première fois dans sa maison (sa maison supramentale), dans le physique subtil, et il était sans habits; mais c'est une espèce de matière vibrante: c'est très matériel, c'est très concret, et c'est une espèce de couleur qui n'en est pas une, qui est un peu dorée et qui est radiante – ça ne jette pas de rayons, mais ça vibre d'une lumière radiante.

Et au moins neuf fois sur dix, il est comme cela; généralement, quand nous sommes ensemble pour du travail, il est comme cela. Il était comme cela la nuit dernière. Alors j'étais occupée (nous avions arrangé quelque chose et j'étais occupée) lorsque, tout d'un coup, je le vois qui se lève d'un bond et qui fait un cent mètres, a dash-race. J'ai eu d'abord un choc, je me suis dit comment ?! Et très facilement, n'est-ce pas: il est parti comme une flèche, puis il s'est arrêté quelques minutes, puis il est revenu en courant. Puis encore il s'est arrêté, puis il est parti une troisième fois on a dash-race (dans une course de vitesse ): les cent mètres que l'on fait. Mais la troisième fois, il était devenu grand et un corps mince. Devenu grand, comme si c'était pour me démontrer: comme cela, le corps se transformera. Il était devenu très grand, très fort. C'était très intéressant et tout à fait inattendu.

Et la seconde fois, il était plus fort que la première; et la troisième fois, il était magnifique: un grand être superbe avec cette substance vibrante, radiante. Et une course! des bonds! c'était fantastique. La dernière fois, c'était fantastique, comme s'il ne touchait pas le sol. Nous «parlons» très-très rarement. Quelquefois il me dit une chose, mais c'est avec une portée spéciale et dans un but spécial – nous nous comprenons sans paroles. Là, il n'a rien dit, mais j'ai compris. Cela faisait partie d'une très longue activité, mais cette chose m'a frappée beaucoup parce que c'était comme la réponse ( à ce que je disais il y a quelque temps ), il disait: «Oui, c'est vrai, tu as raison, c'est comme cela.» Et ce changement du corps entre les trois fois: la première fois, il était comme je l'ai connu mais plus jeune et plus alerte; et la seconde fois, il était déjà plus fort; et la troisième fois, il était magnifique.

Je voulais te raconter ça. C'est tout.
Maintenant, toi, qu'est-ce que tu as à me dire ? (silence) Bien, je ne parle plus !

Il reste toujours la question que je t'avais posée à ce même propos: je vois mal comment le corps supramental, qui est d'une substance très matérielle mais quand même d'une substance différente...

Ah! à ce sujet, j'ai eu une autre expérience il y a quelques jours... Tu sais que l'on parle d'une substance «plus dense» que la substance physique... Comment appellent-ils cela ?... (Mère cherche en vain.) Théon en avait déjà parlé, mais je croyais que c'était son imagination. Mais on m'a dit que, scientifiquement, cela a été découvert et que la quantité de cette «matière plus dense» semble AUGMENTER.

Comment appellent-ils cela ? Il y a un nom. Je ne me souviens plus mais il y a quelque temps, un ou deux mois, quelqu'un venant de France m'a dit que, maintenant, on semble dire dans les milieux scientifiques que cette matière plus dense que la matière physique paraît augmenter en quantité sur la terre – ce serait extrêmement intéressant.

Théon, lui, disait que le corps glorieux serait fait d'une matière plus dense que la matière physique, mais avec des qualités que la matière physique n'a pas. Et en effet, elle a des qualités, paraît-il, que la Matière n'a pas: comme l'élasticité, par exemple. Eh bien, il y a quelques nuits (je ne me souviens plus quand), j'étais dans un endroit où l'on avait rassemblé une sorte de substance qui était d'un gris pâle et qui ressemblait à de l'argile diluée (c'est-à-dire une pâte). Et élastique, (riant) gluant ! Et c'était comme du ciment dilué, mais très pâle, d'un gris perle très joli, et collant: ça se tirait comme du chewing-gum! Et alors, il y avait un certain nombre de gens qui s'étaient rassemblés pour prendre des bains de cette substance. Il y en avait qui se traînaient là-dedans avec délice ! ils se barbouillaient partout, et ça collait ! Et moi-même...

Une fois que l'on était là, on était obligé de se tremper dedans, plus ou moins: c'était comme si, même dans l'air, il y en avait; on ne pouvait pas ne pas en avoir, mais il y avait une dame qui prenait très grand soin de moi pour que ce ne soit pas trop incommode: je me souviens que j'avais une espèce de vêtement lumineux, blanc et rouge (blanc avec des ornements rouges), dans lequel je m'enveloppais pour que ça ne me colle pas après. Mais je regardais ça, et j'ai vu, par exemple, notre Purani qui se vautrait là-dedans, qui glissait avec délice! tout ruisselant de cette boue. Et tout le monde était dans cette boue. Seulement, c'était une boue gris perle d'une très jolie couleur, mais c'était collant! Et le matin, quand je me suis réveillée, je me suis dit: ce doit être la nouvelle substance qui est en préparation – qui n'est pas encore complète mais en préparation.

Il y avait des détails tout à fait amusants : c'était arrangé comme les établissements d'eaux thermales, tu sais, dans les grands endroits chics. C'était comme cela. Et on venait là prendre des bains de ça. Comment appellent-ils cela ?... Pavitra saurait le nom. Je connaissais: Théon lui avait donné le nom qu'on lui donne maintenant. Mais je ne me souviens plus. Une matière plus dense que la Matière physique. Mais élastique. Et probablement une matière qui subirait quelques transformations, je ne sais pas. Peut-être que cette cape que je mettais sur moi était le symbole de... C'était blanc avec des fils d'or et des broderies rouges (c'était très beau) et je m'enveloppais avec ça de sorte que cette boue n'était pas gênante. C'était le symbole de quoi ? De la force qui transformera ça en une substance acceptable. (silence)

Probablement, la conscience qui saura utiliser cette substance (de même qu'il y a eu une conscience qui a su utiliser la substance corporelle) saura en faire quelque chose que l'on peut employer. Parce que nous y sommes habitués, mais il est évident que c'est une espèce de super-chimie qui a fait cette matière corporelle. Cela nous paraît tout naturel, mais ça n'a pas toujours été comme cela – il y a du chemin entre la méduse, par exemple, et puis ce corps.

J'avais l'impression d'une substance qui doit être soumise à un travail d'adaptation, de transformation, d'utilisation, et qui servirait de forme extérieure à l'être supramental. J'ai l'impression que Sri Aurobindo a déjà sa forme supramentale subtile. Par exemple, pour les déplacements, on n'a pas l'impression qu'il soit soumis aux mêmes lois que nous; seulement comme c'est subtil, ça ne paraît pas étonnant. Et aussi une sorte d'ubiquité: il est à plusieurs endroits en même temps. Et une plasticité, une adaptabilité suivant le travail qu'il veut faire, les gens qu'il rencontre.

Je me rends très bien compte dans ces activités que, moi, je le vois ( Sri Aurobindo ) d'une certaine façon, mais je pense que les autres ne le voient pas comme cela – ils le voient différemment, probablement avec des habits. Quand il a couru dans la forêt, nous étions tout seuls, et c'était une grande forêt où il n'y avait personne; et puis quelques minutes plus tard, nous étions à un autre endroit et il y avait du monde, d'autres gens à qui il parlait, et je n'avais pas du tout l'impression que les autres le voyaient sans habits: ils devaient le voir avec un habit. Je l'ai vu une fois, il y a assez longtemps: je t'ai raconté l'histoire de son bateau, justement d'argile.

De glaise.

De glaise, oui.

De glaise rose.

Oui, c'est une sorte de glaise, c'était une glaise rose. Eh bien, à ce moment-là, il semblait habillé. N'est-ce pas, ça n'a pas la fixité de notre matière. C'était comme cette vision du «bateau supramental» où l'on était habillé par sa volonté propre. Mais dans mes activités de la nuit, c'est tout à fait naturel, je n'y pense pas – je ne suis pas là à observer avec le petit entendement imbécile de l'habitude, tout cela est tout à fait naturel. Voilà, on a assez bavardé !

(Sujata:) Et toi aussi, la nuit, tu es grande.

Je n'entends pas, mon petit, je suis dans mon nuage !

(Sujata répète:) La nuit, quand on te voit, tu as l'air grande.

Mais oui ! ah ! ça, je sais! tous les gens me paraissent petits, et c'est seulement comme cela que je me rends compte – je ne sais pas que je suis grande, mais ils me paraissent petits. Je suis grande.

(Sujata:) Tu as au moins cette hauteur (Sujata désigne le plafond de 4,50 m environ).

Oui, j'ai remarqué: souvent je regarde les gens comme cela (Mère se penche par-dessus son fauteuil). Mais c'est tout à fait naturel, je n'ai pas le sentiment d'être grande. (silence). Cette nuit, il y avait un moment où nous avions préparé un certain nombre de choses qui étaient, à la fois, comme de la nourriture, des remèdes et un moyen de transformer la Matière. Ça avait des couleurs différentes, c'était dans des éprouvettes, et il expliquait tout cela. Mais ce n'est pas la première fois: c'est arrivé très souvent. Et alors, le plus beau de l'affaire, c'est que quand je me réveille, tous les détails précis sont balayés immédiatement! comme si je sentais une main qui venait, qui prenait et qui enlevait – exprès.

Mais je me souviens, j'ai encore l'image où il est avec ses éprouvettes à montrer des choses. Il y avait un homme... qui avait l'air d'un savant (un homme d'une quarantaine d'années environ, entre quarante et cinquante ans, jeune, mais pas jeunet) et qui avait l'air très réfléchi. Il était assis. Je ne sais pas de quelle nationalité il est, je ne me souviens pas, mais c'était un moderne; il était moderne, avec des vêtements modernes, et Sri Aurobindo lui montrait ses éprouvettes avec des choses dedans et l'effet sur un ensemble de matière.

Moi, j'étais là, je voyais ça (je regardais avec beaucoup d'intérêt), et à ce moment-là, je comprenais tout. Et je vois encore l'image, mais la connaissance mentale, la traduction mentale qui aurait fait que je pourrais me dire : «Maintenant, je sais», prrt ! enlevée. Chaque fois, c'est la même chose. C'est-à-dire que ce doit être donné à d'autres gens qu'à moi pour qu'ils l'utilisent, parce qu'ils ont un cerveau plus préparé que le mien, probablement, et des conditions de recherche meilleures.

Il est évident que le travail est en train de se faire. (silence) Encore autre chose, hier... quelque chose qui est en train de se préparer... Dans le temps, quand Sri Aurobindo était là et que j'habitais cette maison qui est maintenant le «dortoir annexe», il y avait une grande véranda; je me promenais de long en large dans la véranda (Sri Aurobindo était dans sa chambre, il travaillait), et je me promenais toute seule; mais je n'étais jamais seule: il y avait toujours Krishna – Krishna, le dieu Krishna tel qu'on le connaît, mais plus grand, plus beau, et pas de ce bleu ridicule, n'est-ce pas, bleu faïence ! pas comme cela.

Et toujours-toujours, nous nous promenions de long en large ensemble – on se promenait ensemble. Il était juste un tout petit peu en arrière (geste derrière et presque contre la nuque et les épaules) moi, j'étais un tout petit peu en avant, comme si j'avais ma tête sur son épaule, et il se promenait (mais je n'avais pas le sentiment d'avoir ma tête sur son épaule, mais c'était comme cela), et nous nous promenions, nous communiquions. Cela a duré plus d'un an, n'est-ce pas, tous les jours. Puis ça a été fini. Je l'ai vu de temps en temps (quand nous avons déménagé, je l'ai vu); la nuit quelquefois quand j'étais très fatiguée, il venait et je dormais sur son épaule.

Et alors je savais très bien que c'était une manière de Sri Aurobindo de se montrer. Puis, quand je suis venue ici ( dans cette chambre ), Sri Aurobindo était parti, et j'ai commencé à me promener de long en large en récitant mon mantra. Et Sri Aurobindo est venu, et il était exactement à la place où était Krishna (même geste, juste derrière la tête), et je me promenais et il était là, et nous nous promenions ensemble jour après jour, jour après jour.

Et ça devenait tellement concret, tellement merveilleux que j'ai commencé à me dire: «Pourquoi m'occuper des gens, des choses, je veux être comme cela toujours!...» Il a attrapé ça, puis il m'a dit: «Je ne viens plus.» Et il a arrêté. J'ai dit: «C'est bon», et j'ai commencé mon mantra au Seigneur suprême, et j'ai beaucoup essayé qu'il vienne se promener avec moi, mais sous aucune autre forme : Lui-même.

Et la Force, la Présence, tout était là, et je Le sentais de plus en plus, de plus en plus clairement, se tenant comme cela, juste derrière moi, impersonnel. Depuis quelques jours, j'avais une espèce de sentiment que j'étais proche de quelque chose; et hier pendant une demi-heure: LA Présence – une Présence... Une présence absolument concrète. Et c'est Lui qui m'a dit: «D'abord Krishna, puis Sri Aurobindo, puis Moi.»

Seulement (riant), Il ne veut pas que l'effet soit le même et que je dise: «Maintenant, assez des gens» !

vendredi 10 juillet 2009

Méthodes dans le Yoga

Trouver le Divin est en réalité la raison principale de rechercher la Vérité spirituelle et la vie spirituelle; c'est la seule chose indispensable et sans elle tout le reste n'est rien.

Une fois que l'on a trouvé le Divin, il faut Le manifester, c'est-à-dire transformer tout d'abord notre conscience limitée en la Conscience divine, vivre dans la Paix, la Lumière, l'Amour, la Force, la Félicité infinis, devenir tout cela dans notre nature essentielle et, en conséquence, en être le réceptacle, le canal, l'instrument dans notre nature active.

Introduire dans l'activité le principe de l'unité sur le plan matériel, ou travailler pour l'humanité, est une interprétation mentale erronée de la Vérité: tel ne peut pas être le premier et le véritable but de la quête spirituelle.

Il nous faut trouver le Moi, le Divin; alors seulement nous pourrons savoir quel travail le Moi ou le Divin exige de nous. Jusque là, notre action dans la vie ne peut être qu'une aide ou un moyen pour trouver le Divin et ne devrait pas avoir d'autre raison d'être.

À mesure que nous grandissons dans la conscience intérieure, ou à mesure que la Vérité spirituelle du Divin croît en nous, notre vie et notre action doivent en effet découler de plus en plus de cette recherche, faire corps avec elle. Mais décider par avance, selon nos conceptions mentales limitées, de ce qu'elles doivent être, entrave la croissance en nous de la Vérité spirituelle.

À mesure que celle-ci grandira, nous sentirons la Lumière et la Vérité divines, la Puissance et la Force divines, la Pureté et la Paix divines travailler en nous, se charger de nos actions et aussi de notre conscience, les utilisant pour nous remodeler à l'Image du Divin, éliminant les scories pour y substituer l'or pur de l'Esprit. C'est seulement quand la Divine Présence sera permanente en nous et que la conscience sera transformée que nous aurons le droit de nous dire prêts à manifester le Divin sur le plan matériel.

Si nous érigeons un idéal ou un principe mental et l'imposons au travail intérieur, nous courons le risque de nous limiter à une réalisation mentale ou d'entraver et même de fausser, par une formation arrêtée à mi-chemin, la véritable croissance vers une communion et une unité totales avec le Divin et le jaillissement libre et intime de Sa volonté dans notre vie. Le mental moderne est particulièrement sujet à cette erreur d'orientation.

Il est infiniment préférable d'aborder le Divin pour la Paix, la Lumière ou la Félicité que donne Sa réalisation que de faire intervenir ces mobiles secondaires qui peuvent nous détourner de la seule chose indispensable.

La divinisation de la vie matérielle, tout autant que celle de la vie intérieure, fait partie de notre vision du Plan divin, mais elle ne peut être accomplie que par un jaillissement de la réalisation intérieure, quelque chose qui croît du dedans vers le dehors, non par la mise en œuvre d'un principe mental.

Vous m'avez demandé quelle discipline il fallait suivre pour convertir la recherche mentale en une expérience spirituelle vivante. La première nécessité est de pratiquer la concentration de votre conscience au-dedans de vous. Le mental humain ordinaire a, en surface, une activité qui voile le vrai Moi.

Mais il y a une autre conscience, cachée au-dedans derrière la conscience de surface, où nous pouvons acquérir la perception du vrai Moi et d'une vérité plus vaste et plus profonde de la nature, où nous pouvons réaliser le Moi, libérer la nature et la transformer. Tranquilliser le mental de surface et commencer à vivre au-dedans est le but de cette concentration. Cette conscience véritable, distincte de la conscience de surface, a deux centres principaux, l'un dans le cœur (non pas le cœur physique, mais le centre cardiaque au milieu de la poitrine), l'autre dans la tête.

Par la concentration dans le cœur on s'ouvre vers le dedans et en poursuivant cette ouverture intérieure, en pénétrant profondément, on devient conscient de l'âme ou être psychique, de l'élément divin dans l'individu. Cet être dévoilé commence à venir au premier plan, à gouverner la nature, à l'orienter, elle et tous ses mouvements, vers la Vérité, vers le Divin, et à appeler en elle tout ce qui est au-dessus. Il apporte la conscience de la Présence, la consécration de l'être au Suprême, il fait descendre dans notre nature une Force, une Conscience plus grande qui attendait au-dessus de nous.

La concentration dans le centre du cœur, accompagnée de l'offrande de soi au Divin et de l'aspiration à cette ouverture intérieure et à la Présence dans le cœur, est le premier mode de concentration et, si on peut le pratiquer, c'est un début naturel; car son résultat, une fois acquis, rend le chemin spirituel beaucoup plus aisé et sûr que si l'on commence d'une autre manière.

Cette autre manière consiste à se concentrer dans la tête, dans le centre mental. Si elle apporte le silence dans le mental de surface, elle ouvre au-dedans un mental intérieur plus vaste et plus profond qui est davantage capable de recevoir l'expérience et la connaissance spirituelles. Mais une fois que l'on est concentré à cet endroit, il faut ouvrir la conscience mentale silencieusement vers le haut à tout ce qui est au-dessus du mental.

Après un certain temps, on sent la conscience s'élever au-dessus; elle monte enfin au-delà du couvercle qui l'a si longtemps tenue enfermée dans le corps et trouve au-dessus de la tête un centre où elle se libère dans l'Infini. Là, elle commence à entrer en contact avec le Moi universel, la Paix, la Lumière, le Pouvoir, la Connaissance, la Béatitude du Divin, à y pénétrer, à devenir tout cela et à en sentir la descente dans la nature.

Se concentrer dans la tête en aspirant à la tranquillité du mental et à la réalisation du Moi et du Divin au-dessus est le deuxième mode de concentration. Il est important, cependant, de se souvenir que la concentration de la conscience dans la tête n'est qu'une préparation à l'ascension de cette conscience vers le centre qui se trouve au-dessus; autrement on peut rester enfermé dans son propre mental et ses expériences ou, au mieux, atteindre seulement un reflet de la Vérité qui est au-dessus au lieu de monter dans la transcendance spirituelle pour y vivre.

Pour certains la concentration mentale est plus facile, pour d'autres c'est la concentration dans le centre du cœur; certains sont capables de faire les deux alternativement, mais il est préférable, si l'on en est capable, de commencer par le centre du cœur.

L'autre aspect de la discipline concerne les activités de la nature, du mental, du moi-de-vie ou vital, de l'être physique. Ici le principe consiste à harmoniser la nature à la réalisation intérieure afin de ne pas être divisé en deux parties discordantes. Plusieurs disciplines ou méthodes sont possibles.

Dans l'une on offre toutes les activités au Divin, on appelle le guide intérieur et on demande que la nature soit prise en charge par un Pouvoir supérieur. Si l'on est ouvert à l'âme au-dedans, si l'être psychique vient au premier plan, alors il n'y a pas grande difficulté: cet état s'accompagne d'une discrimination psychique, d'une indication constante, et enfin d'une direction qui révèle toutes les imperfections et, tranquillement et patiemment, les élimine, introduit dans le mental et le vital les mouvements justes et donne aussi une forme nouvelle à la conscience physique.

Une autre méthode consiste à faire un pas en arrière en se détachant des mouvements de l'être mental, vital et physique, à ne considérer leurs activités que comme une formation habituelle de la Nature générale dans l'individu, formation qui nous est imposée par les fonctionnements du passé et qui ne fait nullement partie de notre être vrai.

Dans la mesure où nous réussissons, où nous nous détachons, où nous voyons le mental et ses activités comme n'étant pas nous, la vie et ses activités comme n'étant pas nous, le corps et ses activités comme n'étant pas nous, nous commençons à percevoir un Être intérieur en nous - mental intérieur, vital intérieur, physique intérieur - silencieux, calme, non lié, non attaché, qui reflète le vrai Moi au-dessus et peut être son représentant direct.

De cet Être intérieur silencieux proviennent le rejet de tout ce qui doit être rejeté, l'acceptation de ce qui peut être gardé et transformé à l'exclusion du reste, une Volonté profonde qui tend vers la perfection ou un appel au Pouvoir divin pour qu'il fasse à chaque pas ce qui est nécessaire à la transformation de la nature. Cet Être intérieur peut aussi ouvrir le mental, la vie et le corps à l'entité psychique intérieure et à son influence qui nous guide, ou à son gouvernement direct.

Dans la plupart des cas ces deux méthodes apparaissent simultanément et vont de pair, puis finissent par se fondre en une seule. Mais on peut commencer par l'une ou par l'autre, celle que l'on trouve la plus naturelle et la plus facile à suivre.

Enfin, dans toutes les difficultés où l'effort personnel est entravé, l'Instructeur peut intervenir et apporter l'aide nécessaire pour nous faire parvenir à la réalisation ou pour nous faire franchir la prochaine étape.

samedi 20 juin 2009

Une vision de Mère

J’ai dormi et maintenant voilà que je suis éveillée. J’ai dormi sur les eaux qui sont à l’ouest, et maintenant je pénètre dans l’océan pour en connaître les profondeurs. Sa surface est verte comme le béryl, argentée par les rayons de la lune. En dessous, l’eau est bleue comme le saphir et légèrement lumineuse déjà.

Je me suis couchée sur des ondulations qui sont comme les rides de la moire et je descends, bercée d’une ondulation à l’autre par un mouvement régulier et doux, emportée en ligne droite vers l’ouest. A mesure que je descends, l’eau devient plus lumineuse; de grands courants argentés la traversent. Et pendant longtemps je descends ainsi, bercée d’ondulation en ondulation, toujours et toujours plus profondément.

Tout à coup, en regardant au-dessus de moi, j’aperçois quelque chose de rose, je m’approche et je distingue un buisson semblable au corail, aussi gros qu’un arbre, accroché à un rocher bleu. Les habitants des eaux vont et viennent, innombrables et divers.

Maintenant je me tiens debout sur le sable fin et brillant. Je regarde autour de moi avec admiration. Il y a des montagnes et des vallées, des forêts fantastiques, des fleurs étranges qui pourraient bien être des animaux, et des poissons qu’on pourrait prendre pour des fleurs – il n’y a aucune séparation, aucun vide entre les êtres stationnaires et les non-stationnaires.

Partout des couleurs, douces ou vives et chatoyantes, mais toujours raffinées et en accord. Je marche sur du sable d’or et contemple toutes ces beautés qui sont baignées d’une douce radiance bleu pâle dans laquelle circulent de toutes petites sphères lumineuses rouges, vertes ou dorées.

Qu’elles sont merveilleuses les profondeurs de la mer ! partout on y sent la présence de Celui en qui résident toutes les harmonies ! J’avance toujours vers l’ouest, sans fatigue ni lenteur. Les spectacles se succèdent dans leur incroyable variété.

Voici sur un rocher de lapis-lazuli, des algues fines et délicates, telles de longues chevelures blondes ou violettes ; voici de grandes murailles roses toutes lamées d’argent ; voici des fleurs qui semblent taillées dans des diamants énormes; voici des coupes aussi belles que si elles étaient l’œuvre du plus habile ciseleur ; elles contiennent ce qui paraît être des gouttes d’émeraude ayant des pulsations alternées d’ombre et de lumière.

Maintenant je me suis engagée sur un chemin sablé d’argent entre deux parois de rocher aussi bleues qu’un bleu saphir, l’eau devient de plus en plus pure et lumineuse. Brusquement, à un tournant du chemin, je me trouve devant une grotte qui semble être de cristal ouvragé, toute scintillante de radiance prismatique.

Entre deux colonnes irisées, se tient un être de grande taille ; sa tête, celle d’un tout jeune homme, est encadrée de courtes boucles blondes, ses yeux sont verts comme la mer ; il est vêtu d’une tunique bleu clair et sur ses épaules se trouvent, en guise d’ailes, de grandes nageoires blanches comme la neige. En me voyant, il se range contre une colonne pour me laisser passer. A peine ai-je franchi le seuil qu’une mélodie exquise vient frapper mes oreilles.

Ici l’eau est toute irisée, le sol est sablé de perles nacrées, le parvis et la voûte d’où pendent de gracieuses stalactites sont comme de l’opale ; des parfums délectables sont partout répandus, des galeries, des niches, des recoins s’ouvrent de tous côtés, mais droit devant moi j’aperçois une grande lumière et c’est vers elle que je me dirige.

Ce sont de larges rayons d’or, d’argent, de saphir, d’émeraude, de rubis ; ces rayons prennent tous naissance à un point trop éloigné de moi pour que je puisse distinguer ce qu’il est et s’épanouissent dans toutes les directions, je me sens attirée vers leur centre par une puissante attraction.

Maintenant je vois d’où émanent les rayons, je vois un ovale de lumière blanche entouré d’un superbe arc-en-ciel. L’ovale est couché, et je sentiente que celui que la lumière cache à ma vue est plongé dans un repos profond. Longtemps je reste à la limite extérieure de l’arc-en-ciel, tâchant de percer la lumière et de voir celui qui dort entouré d’une telle splendeur.

Ne pouvant rien distinguer ainsi, je pénètre dans l’arc-en-ciel, puis dans l’ovale blanc et lumineux ; alors je vois un être merveilleux : il est étendu sur ce qui semble un amas de blanc duvet, son corps souple, d’une beauté incomparable, est vêtu d’une longue robe blanche. Je ne puis voir, de sa tête reposant sur son bras replié, que ses longs cheveux de la couleur du blé mûr, qui flottent sur ses épaules. Une grande et douce émotion m’envahit à ce magnifique spectacle, et aussi une profonde révérence.

Le dormeur a-t-il sentienté ma présence ? Voilà qu’il s’éveille et qu’il se lève en toute sa grâce et sa beauté. Il se tourne vers moi et ses yeux rencontrent les miens, des yeux mauves et lumineux qui ont une expression de douceur, de tendresse infinie. Sans bruit de mots, il me souhaite une pathétique bienvenue, à laquelle tout mon être répond joyeusement, puis me prenant par la main, il me conduit à la couche qu’il vient de quitter.

Je m’étends sur cette blancheur duveteuse, et le visage harmonieux se penche au-dessus de moi; un doux courant de force me pénètre toute, allant vitaliser, revivifier chaque cellule.

Alors, entourée des couleurs splendides de l’arc-en-ciel, enveloppée par les mélodies berceuses et les parfums exquis, sous le regard si puissant et si tendre, je me suis endormie dans un repos béatifique. Et pendant mon sommeil j’appris beaucoup de choses belles et utiles.

De toutes ces choses merveilleuses que je compris sans bruit de paroles, j’en mentionnerai une seulement. Partout où est la beauté, partout où est la radiance, partout où est la progression vers le perfectionnement, que ce soit dans le Ciel des hauteurs ou celui des profondeurs, partout assurément se trouve l’être dans la forme et à la similitude de l’homme, l’homme le suprême évoluteur terrestre.

Extrait de la «Revue Cosmique» de 1906

jeudi 4 juin 2009

Prière du 11 janvier 1914

À chaque minute tout l'imprévu, l'inattendu, l'inconnu est devant nous, à chaque minute l'univers se recrée dans sa totalité et dans chacune de ses parties. Et si nous avions une foi vraiment vivante, si nous avions cette certitude absolue de Ta toute-puissance et de Ton unique réalité, Ta manifestation pourrait à chaque minute se faire si évidente que tout l'univers en serait transformé. Mais nous sommes tellement esclave de tout ce qui nous entoure et nous a précédé, nous sommes si déterminés par tout l'ensemble de ce qui est manifesté, et notre foi est si faible que nous sommes incapables encore de servir d'intermédiaires au grand miracle de la transfiguration ...

Mais, Seigneur, je sais que cela viendra un jour. Je sais qu'un jour viendra où Tu transformeras tous ceux qui nous approcheront ; Tu les transformeras si radicalement que, libérés totalement des liens du passé, ils commenceront à vivre en Toi d'une vie toute nouvelle, une vie uniquement faite de Toi, dont Tu seras le souverain Seigneur. Et ainsi tous les troubles seront transformés en sérénité, toutes les angoisses en paix, tous les doutes en certitudes, toutes les laideurs en harmonies, tous les égoïsmes en dons de soi, toutes les obscurités en lumière et toutes les souffrances en immuable bonheur.

Mais n'accomplis-Tu pas déjà ce beau miracle ? Je le vois partout fleurir autour de nous.

Oh ! divine loi d'amour et de beauté, suprême libératrice, il n'est aucun obstacle à Ta puissance. Seul notre aveuglement nous prive du réconfortant spectacle de Ta constante victoire.

Mon cœur chante un hymne d'allégresse, et ma pensée s'illumine de joie.

Ton transcendant, Ton merveilleux amour est le souverain Maître du monde.

jeudi 21 mai 2009

Le monde de Vérité

Il faudra peut-être quelques siècles pour l’Occident, avec tout son développement extérieur, avant que la jonction entre les deux mondes puisse se faire. Et pourtant ces deux mondes – le monde physique et le monde de la Vérité – ne sont pas loin l’un de l’autre. Ils sont comme superposés. Le monde de la Vérité est là, tout contre, comme en doublure de l’autre.Peu avant le 15 août, j’ai eu une expérience unique qui éclaire tout cela.

La lumière supramentale est entrée dans mon corps directement, sans passer par les êtres intérieurs. C’était la première fois. C’est entré par les pieds (une couleur rouge et or, merveilleuse, chaude, intense) et ça montait, montait. Et à mesure que cela montait, la fièvre montait aussi parce que le corps n’était pas habitué à cette intensité.

Quand toute cette lumière est venue vers la tête, j’ai cru que j’allais éclater et qu’il fallait arrêter l’expérience. Alors très clairement, j’ai reçu l’indication de faire descendre le Calme, la Paix, élargir toute cette conscience corporelle, toutes ces cellules pour qu’elles puissent contenir la lumière supramentale. J’ai élargi: en même temps que la lumière montait, je faisais descendre l’ampleur, la paix inébranlable. Et tout à coup, il y a eu une seconde d’évanouissement.

Je me suis retrouvée dans un autre monde, mais pas loin (je n’étais pas en transe complète). C’était un monde presque aussi substantiel que le monde physique. Il y avait des chambres – la chambre de Sri Aurobindo avec le lit où il se repose – et il vivait là, il était là tout le temps: c’était sa demeure. Il y avait même ma chambre, avec un grand miroir comme celui que j’ai ici, des peignes, toutes sortes de choses.

Et ces objets étaient d’une substantialité presque aussi dense que dans le monde physique, mais ils portaient leur propre lumière. Ce n’était pas translucide, pas transparent, pas rayonnant, mais lumineux en soi. Les objets, la matière des chambres, n’avaient pas cette opacité des objets physiques, ce n’était pas sec et dur comme dans le monde physique.

Et Sri Aurobindo était là, avec une majesté, une beauté magnifique. Il avait tous ses beaux cheveux d’autrefois. Tout cela était si concret, si substantiel (on lui servait même une sorte de nourriture). Je suis restée là une heure (j’avais regardé ma montre avant et je l’ai regardée après). J’ai parlé à Sri Aurobindo, car j’avais des questions importantes à lui poser sur la façon dont certaines choses doivent se réaliser. Il n’a rien dit. Il m’écoutait tranquille et me regardait comme si toutes mes paroles étaient inutiles: il comprenait tout, tout de suite.

Et il m’a répondu par un geste et deux expressions du visage. Un geste inattendu qui ne correspondait pas du tout à une pensée de moi: par exemple, il s’est emparé de trois peignes qui étaient là près du miroir (des peignes comme j’en ai ici mais plus grands) et il s’en est coiffé; il a planté un peigne au milieu de sa tête et les deux autres de chaque côté, comme pour ramener tous ses cheveux sur les tempes. Il était littéralement coiffé de ces trois peignes qui lui faisaient une sorte de couronne. Et j’ai compris tout de suite qu’il voulait dire par là qu’il adoptait ma conception: «Tu vois, je prends ta conception des choses, et je m’en coiffe; c’est ma volonté.» Bref, je suis restée là une heure.

Et quand je me suis réveillée, je n’ai pas eu comme d’habitude cette sensation de revenir de loin et qu’il fallait rentrer dans mon corps. Non, c’est simplement comme si j’étais dans cet autre monde, puis j’ai fait un pas en arrière et je me suis retrouvée ici. Il m’a fallu une bonne demi-heure pour comprendre que ce monde-ci existait autant que l’autre, que je n’étais plus de l’autre côté mais ici, dans le monde du mensonge. J’avais tout oublié: les gens, les choses, ce que j’avais à faire; tout était parti, comme si cela n’avait aucune réalité.

N’est-ce pas, ce monde de Vérité, ce n’est pas comme s’il fallait le créer de toutes pièces: il est tout prêt, il est là, comme en doublure du nôtre. Tout est là, tout est là. Deux jours complets je suis restée là-dedans, deux jours d’une félicité absolue. Et Sri Aurobindo était tout le temps avec moi, tout le temps: quand je marchais, il marchait avec moi; quand je m’asseyais, il était assis près de moi. Le jour du 15 août aussi il est resté là constamment pendant le darshan. Mais qui s’en est aperçu? Quelques-uns – un, deux – ont senti quelque chose, mais qui a vu ? – Personne.

Et j’ai montré tout ce monde à Sri Aurobindo, tout ce champ de travail, en lui demandant quand cet autre monde, le vrai qui est là tout près, viendrait prendre la place de notre monde du mensonge. Not ready. C’est tout ce qu’il a répondu. «Pas prêt.» Sri Aurobindo m’a donné deux jours comme cela: une béatitude complète. Au bout du deuxième jour tout de même, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas rester là, parce que le travail n’avançait pas. Le travail, c’est dans ce corps qu’il faut le faire; la réalisation, c’est ici qu’il faut l’accomplir, dans ce monde physique, autrement ce n’est pas complet. Alors je me suis retirée et je me suis remise au travail.

Et pourtant, il suffirait de peu de chose, très peu de chose pour passer de ce monde à l’autre, pour que l’autre devienne le vrai. Un petit déclic suffirait, ou plutôt un petit retournement dans l’attitude intérieure. Comment dire ?... C’est imperceptible pour la conscience ordinaire: il suffit d’un tout petit déplacement intérieur, d’un changement de qualité.

C’est comme pour ce japa: un petit changement imperceptible, et on peut passer du japa plus ou moins mécanique, plus ou moins efficace et réel, au vrai japa plein de puissance et de lumière. Je me suis même demandé si c’était cette différence que les tantriques appelaient le «pouvoir» du japa.

Par exemple, l’autre jour, j’étais malade, très enrhumée. Chaque fois que j’ouvrais la bouche, il y avait un spasme dans la gorge et je toussais, toussais. Puis la fièvre est venue. Alors j’ai regardé et j’ai vu d’où cela venait, et j’ai décidé qu’il fallait que ça cesse. Je me suis levée pour faire mon japa comme d’habitude en parcourant ma chambre de long en large. Il a fallu que j’y mette une certaine volonté. Evidemment, je pourrais faire mon japa en transe, marcher en transe tout en répétant mon japa, parce que là, on ne sent rien, rien du tout des inconvénients du corps.

Mais c’est dans le corps qu’il faut faire le travail! Je me suis donc levée et j’ai commencé à faire mon japa. Alors là, chaque mot prononcé: la Lumière, la pleine Puissance. Une puissance qui guérit tout. Je commence le japa fatiguée, malade, et j’en sors rafraîchie, reposée, guérie. Et ceux qui me disent qu’ils en sortent épuisés, contractés, vidés, c’est qu’ils ne le font pas de la vraie manière. Je comprends pourquoi certains tantriques conseillent de dire le japa avec le centre du cœur. Quand on y met un certain élan, que chaque mot est dit avec une chaleur d’aspiration, alors tout change. J’ai pu sentir cette différence en moi-même, dans mon propre japa.

En fait, quand je marche de long en large dans ma chambre, je ne me coupe pas du reste du monde – ce serait tellement plus commode !... Toutes sortes de choses viennent à moi : des suggestions, des volontés, des aspirations.

Alors automatiquement, je fais le geste d’offrande: les choses viennent à moi, presque à toucher ma tête, et je les tourne vers le haut en les offrant à la Lumière. Ça n’entre pas en moi: on peut me parler, par exemple, pendant que je dis mon japa, et j’entends très bien ce que l’on me dit, je réponds même, mais les mots restent un peu en dehors, à une certaine distance de la tête. Quelquefois pourtant, il y a des insistances, des volontés plus précises qui se présentent à moi, alors il faut que je fasse un petit travail, tout cela sans arrêter le japa.

Mais à ce moment-là, parfois, mon japa change de qualité: au lieu d’être la pleine puissance, la pleine lumière, c’est quelque chose qui a des effets, sans doute, mais des effets plus ou moins sûrs, plus ou moins longs; cela devient incertain comme toutes les choses du monde physique.

Pourtant la différence entre les deux japa est imperceptible: ce n’est pas une différence comme de dire le japa d’une façon plus ou moins mécanique et le dire consciemment, parce que même dans mon travail, je garde la pleine conscience de mon japa et je le répète en mettant le plein sens dans chaque syllabe. Et tout de même il y a une différence. L’un, c’est le japa tout-puissant; l’autre, un japa presque ordinaire... Il y a une différence dans l’attitude intérieure. Peut-être pour que le japa devienne vrai, faut-il y ajouter une sorte de joie, un élan, une chaleur d’enthousiasme – la joie surtout. Alors tout change.

Eh bien, c’est la même chose, la même différence imperceptible pour accéder dans le monde de la Vérité. D’un côté il y a le mensonge, et de l’autre, tout près, comme doublant celui-ci, la vraie vie. Et il suffit d’une petite différence dans la qualité intérieure, un petit renversement pour passer de l’autre côté, dans la Vérité et la Lumière. Il suffit peut-être seulement d’ajouter la joie. Il faudra que je regarde cela dans mon corps puisque c’est là que ça se passe, que les choses se préparent.

Cet autre monde dont tu parles, ce monde de Vérité, c’est le monde supramental ?

Ma sensation, c’est que cette vie que Sri Aurobindo a en ce moment, ce n’est pas pour lui la pleine satisfaction de la vie supramentale. Dans cet autre monde, c’était l’infini, la majesté, le calme parfait, l’éternité – tout était là. Peut-être était-ce la joie qui manquait. Bien sûr Sri Aurobindo, lui, avait la joie. Mais j’avais l’impression que ce n’était pas complet, et que c’est pour cela qu’il fallait que je continue le travail. J’ai senti que cela ne pouvait être complet que quand ce serait changé ici.

6 octobre 1959

samedi 9 mai 2009

19 mai 1959

Quand on est sur le chemin qui monte, le travail est relativement facile. J’avais déjà parcouru ce chemin au début du siècle et établi une relation constante avec le Suprême, avec Ça qui est au-delà du Personnel et des dieux et de toutes les expressions extérieures du Divin, mais aussi au-delà de l’Impersonnel Absolu. C’est quelque chose dont on ne peut pas parler: il faut en avoir l’expérience. Et c’est ça qu’il faut faire descendre dans la Matière. C’est le chemin qui descend, celui que j’ai commencé avec Sri Aurobindo; et là le travail est immense.

Jusqu’au mental et au vital, on peut encore arriver à faire descendre (et pourtant déjà au mental, Sri Aurobindo disait qu’il y faudrait des milliers de vies, à moins de pratiquer un parfait " surrender "). Avec Sri Aurobindo, nous sommes descendus au-dessous de la Matière, jusque dans le Subconscient et même dans l’Inconscient. Mais après la descente, vient la transformation, et quand on en arrive au corps, quand on veut le faire avancer d’un pas – oh! pas même un pas: un petit pas – , tout s’accroche: c’est comme si on mettait le pied sur une fourmilière...

Et pourtant la présence, l’aide de la Mère suprême est là constamment; alors on se rend compte que pour les hommes ordinaires, pareil travail est impossible, ou qu’il y faudrait des millions de vies, et qu’à vrai dire, à moins qu’on ne fasse le travail pour eux et la sâdhanâ du corps pour toute la conscience terrestre, ils ne parviendront jamais à la transformation physique, ou à une échéance si lointaine qu’il vaut mieux ne pas en parler. Mais s’ils s’ouvrent, s’ils s’abandonnent dans un " surrender " intégral, on peut faire le travail pour eux: ils n’ont qu’à laisser faire.

Le chemin est difficile. Et pourtant ce corps est plein de bonne volonté; il est plein de psychique dans chacune de ses cellules; il est comme un enfant. L’autre jour, tout spontanément il s’est écrié: «O mon Doux Seigneur, donne-moi le temps de Te réaliser!» Il ne demandait pas que cela aille plus vite, il ne demandait pas à être allégé de son travail: il demandait seulement le temps de faire le travail. «Donne-moi le temps!»

Et ce travail du corps, j’aurais pu le commencer il y a trente ans, mais j’étais prise tout le temps par cette vie harassante de l’Ashram. Il a fallu cette maladie pour que je puisse vraiment me mettre à la sâdhanâ du corps. On ne peut pas dire que j’aie perdu trente années, car il est probable qu’il y a trente ans, si je l’avais pu, ce travail aurait été prématuré. Il fallait que la conscience des autres aussi se développe – les deux progrès sont liés, le progrès individuel et le progrès collectif, on ne peut pas avancer si l’autre n’avance pas.

Et je me suis rendue compte que pour cette sâdhanâ du corps, le mantra est essentiel. Sri Aurobindo n’en donnait pas; il disait que l’on devait pouvoir faire tout le travail sans avoir besoin de recourir à des moyens extérieurs. S’il en était arrivé là où nous en sommes maintenant, il aurait vu que la méthode purement psychologique est insuffisante, et qu’il faut faire un japa, parce que seul le japa a une action directe sur le corps. Alors j’ai dû trouver toute seule la méthode, trouver seule mon mantra. Mais maintenant que les choses sont au point, j’ai fait en quelques mois dix ans de travail. C’est cela la difficulté, il faut le temps, le temps...

Et mon mantra, je le répète constamment, quand je suis éveillée et même quand je dors. Je le dis quand je fais ma toilette, quand je mange, quand je travaille, quand je parle aux autres; c’est là, par-derrière, à l’arrière-plan, tout le temps, tout le temps.

D’ailleurs, on voit tout de suite la différence entre ceux qui ont un mantra et ceux qui n’en ont pas. Chez ceux qui n’ont pas de mantra, même s’ils ont une grande habitude de la méditation ou de la concentration, cela reste comme flou autour d’eux, quelque chose de vague. Tandis que le japa donne à ceux qui le pratiquent une sorte de précision, de solidité: une armature. Ils sont comme galvanisés.

samedi 25 avril 2009

Agenda du 22 novembre 1967

Il y a un progrès. A la fin de la démonstration physique, le 2 décembre, tous les enfants en chœur vont prier, et c'est moi qui ai écrit la prière. Je vais te la dire. Mais je n'y avais pas pensé : on me l'a demandée, je l'ai faite. Ils ont lu le Bulletin probablement, et alors ils ont demandé une prière. Une prière qui soit vraiment du corps. Et j'ai répondu : The prayer of the cells in the body. Now that by the effect of the Grâce we are slowly emerging out of inconscience and waking up to a conscious life, an ardent prayer rises in us for more light, more consciousness :

"O Suprême Lord of the Universe, we implore Thee, give us the strength and the beauty, the harmonious perfection needed to be Thy divine instruments upon earth."

C'est presque une proclamation. Voilà, alors nous allons mettre cela en français (Mère traduit) : La prière des cellules du corps.

Maintenant que par l'effet de la Grâce, nous émergeons lentement de l'Inconscient et que nous nous éveillons à une vie consciente, une prière ardente s'élève en nous :

"Ô Seigneur suprême de l'univers, nous T'implorons, donne-nous la force et la beauté, la perfection harmonieuse, qui nous permettront de devenir Tes instruments divins sur terre."

Ils vont dire cela après leur démonstration; il paraît qu'ils vont montrer tout l'historique de la culture physique, et puis, quand ils auront fini, ils diront : nous ne sommes pas arrivés à la fin, nous sommes au commencement de quelque chose, et voilà notre prière. J'étais très contente.

Tu dis qu'il y a un progrès ?

Un progrès ! C'est un progrès formidable ! Ils n'avaient jamais pensé, jamais; dans la totalité, là, ils n'avaient jamais pensé à faire la transformation : ils avaient pensé à devenir les meilleurs athlètes du monde et tous les habituels non-sens. Le corps, n'est-ce pas, ils ont demandé une prière du corps. Ils sont arrivés à comprendre que le corps doit commencer à se transformer en quelque chose d'autre. Avant, ils étaient tout pleins de toute l'histoire de la culture physique dans tous les pays, et le pays où c'est le plus en avance et l'utilisation du corps tel qu'il est et... etc. Enfin c'était l'idéal des Olympiques. Maintenant ils ont sauté au-dessus: ça, c'est le passé, maintenant ils veulent la transformation.

N'est-ce pas, les gens, dans leur mental et leur vital, demandaient à devenir divins, enfin c'est toute l'histoire ancienne de la spiritualité, c'est rabâché depuis des siècles. Non, ça, c'est le corps. C'est le corps qui demande à participer. C'est tout à fait un progrès.

Oui, mais on voit bien comment dans le mental, l'aspiration s'entretient, comment elle vit par elle-même. Dans le cœur aussi, on voit bien comment l'aspiration vit. Mais dans le corps ? Comment éveiller cette aspiration dans le corps ?

Mais c'est tout éveillé, depuis des mois chez moi ! Alors c'est qu'ils ont senti justement et qu'ils sentent. Comment c'est fait ? C'est en train de se faire.

Mais comment en soi...

Non, non, non. Si cela a été fait dans un seul corps, cela peut être fait dans tous les corps.

Oui, mais je demande comment... Oui, comment ?

Eh bien, c'est ce que j'essaye d'expliquer depuis des mois. C'est, d'abord, éveiller la conscience dans les cellules...

Eh bien, oui !

Mais oui, mais une fois que c'est fait, c'est fait : la conscience s'éveille de plus en plus, les cellules vivent consciemment, aspirent consciemment. J'essaye de l'expliquer, mon Dieu ! il y a des mois, il y a des mois que j'essaye de l'expliquer. Et alors justement, c'est cela qui m'a fait plaisir, c'est qu'ils ont compris au moins la possibilité.

La même conscience, qui était le monopole du vital et du mental, est devenue corporelle : la conscience agit dans les cellules du corps. Les cellules du corps deviennent quelque chose de conscient, tout à fait conscient. Une conscience qui est indépendante, qui ne dépend pas du tout de la conscience vitale ni de la conscience mentale : c'est une conscience corporelle.

Et ce mental physique dont Sri Aurobindo avait dit que c'était une impossibilité, que c'était quelque chose qui tournait en rond et tournerait en rond toujours, justement sans conscience, comme une espèce de machine, cela a été converti, c'est devenu silencieux, et dans le silence cela a reçu l'inspiration de la Conscience. Et cela a recommencé à prier : les mêmes prières qui étaient dans le mental avant.

Je comprends bien ce qui peut se passer en toi, mais...

Mais puisque ça se passe dans un corps, ça peut se passer dans tous les corps ! Je ne suis pas faite de quelque chose d'autre que les autres. La différence, c'est la conscience, c'est tout. C'est fait exactement de la même chose, avec les mêmes choses, je mange les mêmes choses, et ça a été fait de la même manière, tout à fait. Et c'était aussi bête, aussi obscur, aussi inconscient, aussi obstiné que tous les autres corps du monde.

Et cela a commencé quand les docteurs ont déclaré que j'étais très malade, c'était le commencement. Parce que tout le corps a été vidé de ses habitudes et de ses forces, et alors lentement, lentement, lentement, les cellules se sont éveillées à une réceptivité nouvelle et se sont ouvertes à l'Influence divine, directement.

Autrement il n'y aurait pas d'espoir. Si cette matière qui a commencé par être... Même un caillou est déjà une organisation, c'était certainement pire que le caillou : l'inconscient, inerte, absolu; et puis petit à petit, petit à petit, ça s'éveille. On voit, n'est-ce pas, on voit, on n'a qu'à ouvrir les yeux, on voit. Eh bien, c'est la même chose qui se produit : pour que l'animal devienne un homme, il n'a pas fallu autre chose que l'infusion d'une conscience, d'une conscience mentale; et maintenant c'est l'éveil de cette conscience qui était tout au fond, tout au fond, comme cela. Le mental s'est retiré, le vital s'est retiré, tout s'est retiré; au moment où j'étais soi-disant malade, le mental était parti, le vital était parti, le corps était laissé à lui-même, exprès.

Et c'est cela, c'est justement parce que le vital et le mental étaient partis que cela a donné l'impression d'une très grave maladie. Et alors, dans le corps laissé à lui-même, petit à petit, les cellules ont commencé à s'éveiller à la conscience (geste d'aspiration qui monte), cette conscience qui était infusée dans le corps par le vital (du mental au vital, du vital au corps), quand les deux sont partis, la conscience a émergé lentement, lentement. Cela a commencé par cet éclatement d'Amour de tout en haut, l'extrême suprême altitude, et puis petit à petit, petit à petit c'est descendu jusqu'au corps. Et puis cette espèce de mental physique, c'est-à-dire quelque chose de tout à fait, tout à fait idiot, qui tournait en rond comme cela, répétant toujours la même chose, cent fois la même chose, petit à petit cela s'est éclairé et c'est devenu conscient, ça s'est organisé, et puis c'est entré dans le silence, puis dans le silence, l'aspiration s'est exprimée en prières.

C'est le démenti à toutes les assurances spirituelles du passé : "Si vous voulez vivre pleinement conscient de la vie divine, quittez votre corps , le corps ne peut pas suivre." Eh bien, Sri Aurobindo est venu et a dit : le corps, non seulement peut suivre, mais peut être la base manifestant le Divin. Le travail reste à faire. Mais maintenant, il y a une certitude. Le résultat est encore très loin, très loin. Il y a beaucoup à faire pour que la croûte, l'expérience de la surface la plus extérieure telle qu'elle est, manifeste ce qui se passe au-dedans (pas "au-dedans" dans les profondeurs spirituelles : au-dedans dans le corps). Pour que ça soit capable de manifester ce qui est dedans... Cela viendra en dernier, et c'est très bien, parce que si cela venait avant, on négligerait le travail; on serait tellement content que l'on oublierait de finir son travail. Il faut que tout soit fait dedans, que ce soit bien, bien changé, alors le dehors le dira.

Mais c'est toute une seule substance, toute pareille partout, et qui partout était inconsciente; et alors ce qui est remarquable, c'est qu' automatiquement il y a des choses qui se passent (geste montrant des points éparpillés à travers le monde), tout à fait inattendues, ici et là, chez des gens qui ne savent même rien.

Il fallait que la capacité de recevoir et de manifester la conscience soit obtenue par ces cellules matérielles; et alors ce qui permet une transformation radicale, c'est qu'au lieu d'être une ascension pour ainsi dire éternelle, indéfinie, c'est l'apparition d'un type nouveau, c'est une descente d'en haut. La descente précédente était une descente mentale, et cela, c'est ce que Sri Aurobindo appelle une descente supramentale ; l'impression, c'est : une descente de la Conscience suprême qui s'infuse dans quelque chose de capable de la recevoir et de la manifester. Et alors de cela, quand ce sera bien trituré (combien de temps cela prendra, on ne sait pas), il va naître une forme nouvelle, qui sera la forme que Sri Aurobindo appelait supramentale, qui sera... n'importe quoi, je ne sais pas comment ces êtres s'appelleront.

Quel sera leur mode d'expression, comment vont-ils se faire comprendre, tout cela...? Chez l'homme, cela s'est développé très lentement. Seulement le mental a beaucoup trituré, et au fond a fait marcher les choses plus vite. Comment va-t-on arriver là ?... Il y aura certainement des stades dans la manifestation, avec peut-être un échantillon qui viendra dire : voilà comment c'est. (Mère regarde devant elle) On voit cela. Seulement, quand l'homme est venu de l'animal, il n'y avait aucun moyen d'enregistrer , de noter et d'enregistrer le processus, maintenant c'est tout à fait différent, alors ce sera plus intéressant.

Mais encore à l'heure qu'il est, l'immense majorité de l'intellectualité humaine est parfaitement satisfaite de s'occuper d'elle-même et de ses petits progrès comme cela (Mère dessine une ronde microscopique). Elle n'a même pas... elle n'a même pas envie qu'il y ait autre chose. Ce qui fait qu'il se peut que l'avènement de l'être surhumain... Cela peut très bien passer inaperçu, ou ne pas être compris. On ne peut pas dire, parce qu'il n'y a pas d'analogie; il est évident que si un singe, un des gros singes, avait rencontré le premier homme, il aurait simplement dû sentir que c'était un être un peu... étrange, c'est tout. Mais maintenant c'est différent, parce que l'homme pense, raisonne.

Mais pour tout ce qui est supérieur à l'homme, l'homme a été habitué à penser que c'étaient des êtres... des êtres divins, c'est-à-dire qu'ils n'avaient pas de corps, qu'ils apparaissaient dans la lumière, enfin tous les dieux tels qu'ils les conçoivent mais ce n'est pas du tout cela.(long silence) Alors? Tu n'es pas convaincu? Pourquoi n'essayes-tu pas?

Mais si ! C'est pour cela que je te posais la question. Je ne suis pas à douter de quoi que ce soit. Je te posais la question, je te disais : Comment fait-on, je ne vois pas comment ça se fait... Par exemple, le matin je me rase. Bon, le matin on est abruti, on est fatigué, le mental ne marche pas, le vital ne marche pas...

Oui, c'est une excellente occasion.

Mais oui, justement, c'est ce que je fais ! et je dis : eh bien, non, je ne vois pas. Je ne sais pas comment ça bouge, ça ne bouge pas...Ça ne bouge pas si je n'y mets pas le mental ou le vital ou le cœur.

Bah!

Ce n'est pas que je doute ! Je dis que mon corps est un âne, c'est possible, mais je ne doute pas.

Il n'est pas un âne, le pauvre! (Mère rit)

De doute, je n'ai pas, mais de question sur le comment, ça oui, je ne sais pas.

Pour moi, ce problème-là ne s'est jamais posé, parce que... Quand on fait de la musique ou quand on fait de la peinture, on s'aperçoit très bien que la conscience pénètre dans les cellules et que ces cellules deviennent conscientes. Cette expérience, par exemple : il y a des choses dans une boîte, et on dit à la main : "Prends douze" (sans compter, comme cela), elle prend les douze et puis elle vous les donne. Ça, c'est une expérience que j'ai eue il y a longtemps; à vingt ans je commençais des expériences comme cela, par conséquent je sais; je savais comment la conscience travaille. N'est-ce pas, il est impossible d'apprendre le piano ou de faire de la peinture sans que la conscience entre dans les mains, et les mains deviennent conscientes indépendamment du cerveau.

Le cerveau peut être occupé ailleurs, cela n'a aucune importance. D'ailleurs c'est ce qui se passe chez les gens que l'on appelle somnambules: ils ont une conscience qui appartient à leur corps, qui les fait mouvoir et faire des choses tout à fait indépendantes du mental et du vital.

Je veux dire que quand je suis devant la glace à me raser, si au-dedans de moi je ne mets pas le montra ou une aspiration qui vient du cœur, eh bien, c'est un morceau, inerte qui se rase, et par-dessus le marché, le mental physique tourne. Mais si je mets un montra ou bien une volonté mentale...

Mais non ! Mais c'est le corps qui finit par dire le mantra ! spontanément, si spontanément que même si toi, par hasard, tu penses à autre chose, ton corps dira le mantra. Tu n'as pas cette expérience-là ?

Non.

Et c'est le corps qui aspire, le corps qui dit le mantra, le corps qui veut la lumière, le corps qui veut la conscience, toi, tu peux penser à autre chose : Pierre, Paul, Jacques, un livre, etc., cela n'a pas d'importance.

Mais je comprends bien maintenant, je comprends .bien; au commencement je ne comprenais pas, je croyais que j'avais été rendue soi-disant malade pour cesser la vie que je menais en bas, je mène une vie encore beaucoup plus occupée que celle que je menais en bas, par conséquent... Je me demandais pourquoi, si c'était un moment de transition. Mais maintenant je comprends : coupée, je m'évanouissais. Ce qui a fait que le docteur a déclaré que j'étais malade, c'est que je ne pouvais pas faire un pas sans m'évanouir; je voulais marcher d'ici là, en chemin, port! je m'évanouissais ; il fallait me tenir pour que le corps ne tombe pas.

Mais moi, pas une minute je ne perdais la conscience; je m'évanouissais, mais j'étais consciente, je voyais mon corps, je savais que j'étais évanouie, je ne perdais pas la conscience, et le corps ne perdait pas la conscience. Alors maintenant je comprends : c'était coupé du vital et du mental et laissé à ses moyens propres, c'était simplement le corps : tout ce qu'il savait, toutes les expériences qu'il avait eues, toute la maîtrise de ce qui était dans tous les états d'être, du vital au mental et au-dessus, tout cela, parti! et ce pauvre corps laissé à lui- même. Et alors naturellement, petit à petit, tout cela s'est reconstruit, reconstruit, un être conscient, purement conscient.

Oui, je comprends. Je comprends. Mais c'est vrai qu'il a été coupé, ça je l'ai su, je l'ai vu, coupé, les états d'être renvoyés : "Allez-vous-en, on ne vous veut plus", et alors il a fallu qu'il se reconstruise une existence. Et au lieu d'avoir à passer par tous ces états d'être comme ils faisaient avant, par des éveils successifs (geste d'escalade de degré en degré), jusque tout en haut, tout en haut, par-delà la forme, maintenant ce n'est pas du tout comme cela, il n'a pas eu besoin de rien du tout de tout cela, il a simplement... (geste d'aspiration qui monte et s'ouvre comme une fleur). Il y avait quelque chose qui s'est ouvert et s'est développé au-dedans, et qui a fait que ce mental imbécile s'est organisé, a été capable d'être silencieux dans une aspiration; et alors... alors c'était le contact direct, sans intermédiaire — contact direct. Et cela, il l'a tout le temps maintenant. Tout le temps, tout le temps Te contact direct. Et c'est le corps, ce n'est pas à travers toutes sortes de choses et d'états d'être, pas du tout, c'est direct.

Mais une fois que c'est fait (cela, Sri Aurobindo l'avait dit), une fois qu'un corps l'a fait, il a la capacité de le passer aux autres. Et je te dis, maintenant... je ne dis pas dans la totalité et le détail, probablement pas... mais il y a ici et là (geste dispersé indiquant divers points de la terre), tout d'un coup, une expérience ou une autre expérience qui se produit chez des gens. Il y en a (la majorité) qui ont peur, alors naturellement cela s'en va. C'est parce qu'ils n'étaient pas assez préparés au-dedans; si ce n'est pas la petite routine de chaque minute, de toujours, ils ont peur; alors une fois qu'ils ont peur c'est fini, cela fait qu'il faudra des années de préparation pour que cela se reproduise. Mais enfin, il y en a quelques-uns qui n'ont pas peur; tout d'un coup, une expérience : "Ah!..." Quelque chose de tout à fait nouveau, tout à fait inattendu, à quoi ils n'avaient jamais pensé.

C'est contagieux. Cela, je le sais. Et c'est le seul espoir, parce que si tout le monde devait repasser par la même expérience... Eh bien, maintenant j'ai quatre-vingt-dix ans ; à quatre-vingt-dix ans les gens sont fatigués, ils en ont assez de la vie. Il faut se sentir jeune comme un petit enfant pour faire cela. Et cela prend longtemps, je vois bien que cela a pris longtemps.

Et ce n'est pas fait, n'est-ce pas, c'est en train de se faire, mais ce n'est pas fait ; Il s'en faut de beaucoup. Il s'en faut de beaucoup... Quel est le pourcentage des cellules conscientes ? On ne sait pas. Et de temps en temps, il y en a qui grondent les autres (c'est très amusant !), qui les grondent, qui les attrapent, qui leur disent des sottises (à leur manière), à celles qui veulent (Mère dessine une ronde minuscule) continuer les vieilles habitudes : il faut que la digestion se fasse d'une certaine façon, il faut que l'absorption se fasse d'une certaine façon, il faut que la circulation se fasse d'une certaine façon, il faut que la respiration... il faut que toutes les fonctions se fassent selon la méthode de la Nature; et quand ce n'est pas comme cela, elles s'inquiètent. Et alors celles qui savent, les attrapent et puis leur donnent un bon bombardement de Seigneur, c'est très amusant!

Et il y a quelque chose qui traduit en mots (c'est sans mots, mais il y a quelque chose qui traduit en mots, là), et alors il y a des conversations entre cellules (Mère rit) :

"Espèce d'imbécile, pourquoi as-tu peur? Tu ne vois pas que c'est le Seigneur qui fait cela pour te transformer?" Alors l'autre : "Ah!..." Alors il se tient tranquille, et puis il s'ouvre et il attend, et puis... la douleur s'en va, le désordre s'en va, et puis tout s'arrange.

C'est admirable.

Mais si par malheur le mental vient, commence, pour assister ou juger, alors tout s'arrête, et tout retombe dans la vieille habitude.(long silence). Au fond, c'est l'ego vital, mental, etc., tout cela qui a été, poff ! enlevé.C'était une opération radicale. Et alors maintenant, il y a une sorte de souplesse, de plasticité. Et tout cela apprend; c'est très en rapport avec tout (geste horizontal), mais cela apprend à chercher tout son appui, toute sa force, toute sa connaissance, toute sa lumière, toute sa volonté, tout, tout, comme cela (geste vertical, tourné vers le Suprême), uniquement comme cela, dans une plasticité extraordinaire.

Et alors, la splendeur de la Présence...